JE NE VEUX PAS M’ENDORMIR- 13 ( à suivre)
Quand il reprit conscience, il comprit qu’il se trouvait allongé dans une couche de neige épaisse. Une neige tellement blanche qu’elle suggérait le bleu très pâle. Des cristaux gelés s’accrochaient à ses mains et leur fine morsure piquait la pulpe de ses doigts. John ressentait le froid humide s’infiltrant dans ses vêtements mordant méthodiquement sa chair. Assurément, il avait présumé de ses forces. Quelque chose avait changé en quelques mois, qui le rendait bien incapable d’aller où bon lui semblait.
Et, maintenant, qu’il s’engourdissait de minute en minute, il pensa qu’il était bien avancé : peu à peu il perdait toute sensibilité et il ne pouvait même plus se relever. Qui pourrait lui venir en secours si ce n’était la bonne fortune d’un garde forestier de passage avant qu’il ne fût pétrifié à tout jamais. Alors, il puisa toute son énergie restante pour atteindre son smartphone qui finit par glisser de sa poche et se coinça entre la neige et ses vêtements. John s’énervait, répétait en litanie : « je ne veux pas m’endormir », et projetait en avant son épaule autant qu’il le pouvait pour atteindre le téléphone portable qui représentait sa seule planche de salut. Il put enfin accéder à l’écran tactile, et d’une main tremblante et gauche il appuya sur le raccourci d’appel de Monique. L’indispensable Monique qui ne manquerait pas de le sermonner comme on le fait pour un gamin imprudent. Monique, toujours Monique, le bon numéro. Qu’elle m’entende, pensa –t-il assez désespéré. Les dés jetés, il n’y avait plus qu’à attendre résigné.
John observa l’épaisseur de neige qui s’ouvrait sur le ciel ; une buse y tournoyait en planant pesamment au-dessus de son malheur. A trop la fixer sa vue se fatigua : cela augurait d’une torpeur paralysante à venir et, peut-être, mortelle. Quelque chose s’endormait en lui et il le refusait.
Une sorte de trou le surprit. Cela ne dura que quelques dixièmes de seconde, puis John vit les choses autrement. Il était debout, vêtu différemment, portait chapeau de laine et un anorak des plus chaud. Une fois encore John avait été imprévoyant et ses baskets aux pieds n’étaient pas adaptées à la situation. Pourtant, une étrange légèreté proche de l’ivresse l’habitait tandis qu’il respirait profondément. Son cœur frappait fort sans qu’il s’en soucie, le jeu l’emportait sur tout le reste : Monique était cachée, avait brouillé ses traces et devait l’observait depuis un de ces nombreux taillis qui longeaient la voie forestière, à moins qu’elle ne fut derrière ces stères de bois empilés que les hommes installaient à proximité des lieux de coupes.
Il anticipait l’éclat de rire espiègle de Monique dés lors qu’elle le découvrirait et un sourire heureux s’imprima sur ses lèvres d’où la condensation s’échappait. Il perçut plusieurs fois la sonnerie d’un téléphone mais ne s’en soucia pas.
Un bruit secoua les broussailles à dix mètres devant lui, un chevreuil déboucha dans un nuage de poudreuse, stoppa brutalement en plein mitan du chemin. John était pétrifié autant que l’animal qui bondit après qu’ils aient connu semblable surprise et émotion. Un instant de grâce tressaillait encore sous la marque des sabots fins. Puis, plus rien qu’un décor souffrant déjà d’une absence.
Loin, loin, il distingua la silhouette de Monique bondissante sur la route forestière. Encore une de ces lubies consistant à lui faire croire qu’il ne l’atteindrait plus jamais. Et son désir décuplerait, s’il en était besoin. C’est vrai, je l’aime. Et il s’entendit hurler : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime ! … l’écho n’en finissait plus de reprendre à l’envi son aveu. ».
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