Cet écrit bien modeste est une offrande à ces femmes sacrifiées par la France et largement oubliées:
Marie Bartête sera la dernière bagnarde, elle mourut dans les années 30, déformée par l'éléphantiasis...En 1923, Albert Londres l'a rencontrée à saint-laurent du maroni et a publié son témoignage en une page dans son livre "Au bagne"...
(en 1923, lorsque Albert Londres la rencontre, Marie Bartête, pourtant relevée de relégation, vivait toujours en Guyane, faute d'argent pour payer le voyage du retour)
je veux rendre hommage aussi à Bernadette Pecassou-Camebrac, journaliste et écrivain, qui a consacré deux ans de recherches pour son roman historique: "La dernière Bagnarde",
histoire qui m'a largement inspiré cet écrit ...
je te vois Marie
enfermée avec tes compagnes de malheur
dans un carbet minable,
penchée du matin jusqu'au soir
à coudre et à recoudre
les linges du bagne...
expédiée comme un colis indésirable
dans l'enfer de Saint-Laurent du Maroni
pour quelques pains volés
dans tes moments de famine...
la nuit, dans ton sommeil agité de fantômes,
j'entends avec toi les cris des singes rouges
et plus effrayants encore, ceux des bagnards hurlant de désespoir
dans leur nuit de douleur...
avant l'aube, tu te lèves
et ce matin, avec une petite lueur dans les yeux :
aujourd'hui en effet, ce n'est pas tout à fait un jour comme les autres:
c'est jeudi et tu es autorisée à passer au "kiosque"
pour une drôle de musique:
la rencontre d'anciens bagnards
sans dent, sans charme et sans sourire
qui viennent choisir une femme...
avec les moyens du bord,
tu t'es faite belle, coquette:
les lèvres rouges et le visage "fariné"
pour une séduction nécessaire,
car le mariage c'est l'espoir d'une vie meilleure:
la liberté et un bout de terre à soi...
Tu rêves déjà d'une petite maison
et d'un jardin où tu pourras planter quelques légumes
et pourquoi pas quelques fleurs pour égayer la vie...
comme je voudrais te parler, te dire que ce lopin de terre
est un piège, un effroyable piège:
rien que de la jungle avec ses arbres immenses
où tu ne pourras rien semer!
je te regarde sourire,
le premier depuis bien longtemps,
lorsqu'un "ex-bagnard" te choisit...
tu es heureuse, tellement heureuse!
tu l'épouses sur le champ!
sûre de toi, d'un avenir plus beau!
et tu recommence à rêver:
d'une petite famille, celle que tu n'as jamais eue!
d'un mari qui te prenne tendrement dans ses bras!
quelle joie dans ton coeur qui bat tellement fort!
joie de courte durée hélas!
tu te retrouves prostituée dans un bar mal-famé de Saint-Laurent du Maroni!
si tu as pu t'échapper, heureusement, et retrouver tes compagnes bagnardes
il reste dans ton âme une souffrance effroyable que tu as portée en toi jusqu'à ta mort:
celle de ne pas avoir été aimée...
gérard
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"Aucun poème ne sera si grand, si noble, si véritablement digne du nom de poème, que celui qui aura été écrit uniquement pour le plaisir d'écrire un poème"
Extrait de "L'Artiste" de Charles Beaudelaire