Je ne peux refermer ce paquet de lettres sans dire combien ces histoires légères ou profondes de petit paysan ont façonné ma vie.
J’ai passé ma vie professionnelle dans la technique et les sciences. J’ai eu plaisir à diriger un laboratoire. J’y ai « vu » la structure de la matière ainsi que l’infiniment petit des organismes vivants. J’ai développé en parallèle une grande passion pour l’astrophysique. Je navigue donc entre l’infiniment petit et l’immensité de notre univers.
L’explication de cette vie passée à scruter tout ce qui est sciences, d’en faire mon métier remonte à cette enfance. Un jour dans la petite église d’Availles en plein été alors que je méditais dans la douce fraîcheur de l’édifice religieux, j’ai « su » que ce « grand tout » qu’est notre univers était comme l’horloge de Voltaire, il lui fallait un horloger qui en était l’auteur. J’ai eu la douce certitude de la foi, mais chez nous paysans on ne « gobe » pas tout ce qu’on nous affirme sans chercher à comprendre.
Alors j’ai passé ma vie à chercher la compatibilité entre foi et science. Je continue « à croire » aux deux mais je sais aujourd’hui que toutes les pseudo-certitudes scientifiques seront sans doute obsolètes dans quelque temps. Cependant elles ont rassuré mon esprit cartésien par moments.
En fait nous ne « savons » pas grand-chose, nous cherchons. Nous cherchons qui nous sommes, comment nous sommes, pourquoi nous sommes.
Ce n’est pas notre immense univers pétaradant dont les galaxies s’éloignent bêtement les unes des autres sans savoir où elles vont qui va nous éclairer, alors qu’il risque de finir dans un trou noir sans fin semblable à l’entonnoir de l’Enfer de Dante.
À défaut de tout savoir et tout comprendre, la sagesse par l’âge apportée, je passe ma retraite à aimer. Aimer les hommes dans leur cheminement vers le bonheur suffit à ma paix de fils de paysans vieillissant.
Entre le début de ce livre et sa fin, un grand éclair a déchiré le ciel de mon enfance à Piogé : ma mère nous a quittés.
Piogé pour moi est devenu boiteux. On me dit que « c’est la vie »… beau sophisme !
L’hiver et ses tourments sévissent sur notre campagne. D’habitude j’aimais ces turbulences et ces vents de tempête. J’aimais être au chaud derrière les vitres quand dehors la nature furibonde hurlait son imbécile force. L’homme avait, pour moi, vaincu ces furies ignorantes par son esprit en construisant son nid. J’aimais cette musique du vent dans les grilles qui ressemblait aux morceaux tourmentés de Von Karajan.
Rien n’est plus pareil, là -haut sur la colline près des bois jaunis, Maman repose dans le froid et Papa pense dans sa solitude triste. Il est comme toujours digne et silencieux. La vallée de la Cendronne les sépare… mais c’est surtout la vie qui les sépare.
Décidément je n’y comprends rien. Vous me direz que c’est normal, que mourir est la fin logique de la vie. Oui mais ce ne sont que des mots usités pour combler notre révolte, notre chagrin, notre ignorance.
Je reste cependant et resterai toujours Fils de Paysans à Piogé. J’ai eu tant de bonheur sur cette butte où j’ai appris la vie.
J’y ai appris le respect de l’autre dans sa différence, le partage plutôt que la compétition. J’y ai appris la fraternité humaine.
J’y ai appris à être insoumis et debout face aux puissants de ce monde lorsqu’ils ne respectent plus notre belle République et sa devise « Liberté Égalité Fraternité ». Et cela me prend hélas beaucoup de temps !
Les soirs de tristesse, il m’arrive souvent de repartir en pensée sur ma colline de Piogé pour y garder les chèvres et essayer de comprendre la marche infernale de mes frères humains.
Comme dit Dominique dans sa préface, « les enfants d’Availles comme ceux de Piogé ont grandi et ont écarté les limites de leur univers pour découvrir le monde et finalement y trouver leur place ! ».
Oui, c’est à Piogé que j’ai appris à aimer les hommes et à me battre pour eux et non contre eux.
J’ai laissé beaucoup de forces par idéal. Certes je n’ai pas changé le monde mais le monde ne m’a pas changé et le soir quand l’angoisse de la nuit arrive je peux encore me regarder dans une glace sans rougir.
Il n’y a pas de branche sans racine… Mes racines sont là -haut et ma tête reste dans les étoiles.
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Il est un temps pour chaque âge :
A vingt ans , tout semble possible. A quarante , tout est possible. A soixante tout semble possible mais pas forcément souhaitable .
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