Plume d'argent Inscrit le: 14/11/2011 De: Envois: 357 |
imaginaire Pousse pouce puce C’était Pousse pouce ; on l’avait ainsi surnommé tant il était petit et avait peur de tout. Il fallait le pousser en toutes choses : il avait si peur, pousse pouce puce. Aussi avait-il tout particulièrement peur de descendre à la cave. En ces années de guerre, descendre à la cave signifiait avant tout descente aux abris sous le déluge de fer des attaques aériennes ou encore dégermer les pommes-de terre. Puce n’aimait pas trop cette activité qui salissait les mains. Mais il fallait aussi tout préserver ; sa grand-mère précisait : « à l’entrée de la cave ou dans le garde manger » A cette époque, il n’y avait point de réfrigérateur, ni de congélateur. Cela viendrait plus tard, quand les Américains allaient décongeler la France, en 1944. La cave lui semblait si peu accueillante, si étrange, si particulière à ses yeux. C’était là que l’on enfermait les enfants désobéissants, disait mère-grand. L’éclairage était des plus réduits et les précieuses denrées si rares qu’il fallait les soigner ; on les descendait alors à la cave pour les mettre au garde-manger. L’entrée ne l’impressionnait pas tellement mais la cave, par elle-même là où trônait le garde manger, c’était l’épouvante, l’angoisse étreignait son petit cœur d’enfant, c’était une aventure, une épreuve que sa grand-mère lui imposait, le sourire aux lèvres. Derrière la partie grillagée, on gardait les aliments qu’une trop longue exposition à l’air et surtout à la lumière risquait de détériorer à plus ou moins longue échéance. Le garde à manger lui semblait étrange, cette porte de prison pour aliments …..Qu’avaient-ils donc fait à ma grand-mère pour être ainsi enfermés, me disais-je…Ne cachait-il donc pas des souris qui viendraient, curieuses, lui chatouiller les doigts…..N’y avait-il pas un trou dans le fond ? Le fromage attire si facilement l’appétit des souris….si mignonnes de loin mais dont les dents pointues sont si redoutables. Ces animaux avaient peuplé les contes de son enfance et son imagination déjà débridée….….Vite, pousse pouce dévalait les escaliers menant à la cave après avoir pris soin d’allumer la petite lampe tremblotante, seul éclairage de l’escalier : une ampoule qui, dans sa nudité, paraissait si redoutable, si impressionnante malgré sa petite taille, si peu efficace dans son combat contre les ténèbres….Pousse pouce tremblait, courait, sautait, ouvrait la porte du garde-manger, déposait le fromage en vitesse et remontait quatre à quatre pour claironner à sa grand-mère après avoir éteint la lampe, car il fallait économiser l’électricité : « C’est fait, grand-mère » Un jour, cependant, Pousse pouce oublia dans sa hâte de refermer la porte de l’ancêtre du réfrigérateur. Le lendemain, sa grand-mère trouva la porte du garde manger ouverte et le fromage à moitié grignoté….Les souris avaient œuvré, à la dérobée, lorsque la famille dormait. La faim justifiait les moyens. Adieu veaux, vaches, couvées… Je vous laisse imaginer la fin de l’histoire : Pousse pouce Perrette n’était pas près d’oublier La Fontaine. Car telle fut la punition, il dut apprendre cette fable que notre affable poète composa jadis lorsque Perrette se conduisit comme une cruche. Pousse pouce avait cette fois poussé le bouchon trop loin. Il avait été puni et cette punition, il la méritait. Cependant, la leçon avait porté ses fruits ; plus jamais il n’oublia ensuite de refermer la porte grillagée du lieu sacré de la conservation des provisions garantissant la survie de la maison. Adulte, Pousse pouce, de son vrai nom Louis, se remémore cette scène qui l’a marqué de façon indélébile pour le restant de sa vie. Chaque fois que Louis pénètre à présent dans une cave, il se rappelle l’aventure que représentait à ses yeux la descente dans cette caverne mystérieuse pleine de recoins et peu éclairée ; c’était pour le petit diable franchir le Styx, la rivière des morts qui, elle aussi, l’impressionnait. A cette époque, il n’avait que six ans et le garde manger jouait alors un rôle déterminant dans l’économie de la maisonnée. Tout manquait à cette époque dans un monde où l’on vivait au jour le jour, où l’on survivait à défaut de vivre. A présent, l’évocation de cette effroyable peur enfantine le divertit : on oublie si facilement que l’on a été petit. le 8/11/08 révision du 24 Janvier 2011
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