Les Millions.
Mon âme s’est embarqué sur la barque des Millions. La vie renaît sur ce navire. Les mâts sont couverts de bourgeons et de feuilles. J’observe les voiles et les cordages. Je suis sur le vaisseau de vie. Il me délivre les messages des étoiles.
Passager de l’au-delà , mon être doit refléter ce monde. Je devine peu à peu son architecture en observant celle de la barque. Elle est magicienne. Elle m’ouvre les portes des secrets.
Un passeur me fait face. Je dois résoudre ses énigmes, aller dans la bonne direction, ne jamais sombrer dans les eaux de l’oubli. Je dirige le navire et découvre le monde. Je dois toujours tenir le cap.
Un être sans barque ne naîtra pas dans l’autre monde. Il reste un fœtus, faible et voué à l’immobilité des pierres. Il ne peut connaître aucune métamorphose. C’est un homme inerte pour l’éternité.
Le passeur est sorti du sommeil de la mort. Il surveille mon passage d’une rive à l’autre. Mon âme s’éclaire et ne craint plus le passeur. Mon navire franchit des espaces célestes où coule un fleuve, doux comme le miel.
Je distingue de loin l’œil d’Horus. Je le vois maintenant mieux que le soleil. Il reflète toutes les lois mathématiques de l’univers. Il est entièrement reconstitué, cet œil que Seth avait arraché dans sa lutte avec le faucon.
J’arrive aux grandes plaines célestes, aux champs fertiles. J’aborde ces terres pour y labourer, y moissonner, y boire et y manger. Je dois y faire tout ce que l’on fait d’habitude sur la terre.
Je traverse la campagne des Félicités. C’est le pays où tous les vents sont maîtrisés. Mes corbeilles sont pleines de nourriture. Je dresse la table des offrandes. Un héron perché sur un monticule de terre tend son bec.
Des défunts manient leurs faucilles d’or et portent des gerbes de blé. Ils se dirigent vers le Nil. C’est là aussi que je m’embarque. Le fleuve m’emporte vers les quatre villes sacrées. Les âmes des Egyptiens se retrouvent toutes à Bouto, à Hiéraconpolis, à Hermopolis et à Héliopolis. Ce sont les villes de l’au-delà . Leurs murs et leurs maisons sont imprégnées par l’âme collective du pays. Les autres cités sont celles des morts qui ne ressuscitent pas.
Là , je vais rencontrer tous les défunts de l’Egypte, tous ceux qui ont su trouver le chemin. J’aurai réussi la traversée des Millions. Je pourrai parler pour eux tous et pour l’Egypte entière…l’Egypte forte de toutes ses âmes parvenues sur ses terres éternelles.
Hervé GOSSE
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