Je ne veux pas m’endormir – 5
Vingt deux heures trente. Aujourd’hui comme hier, la lutte reprenait : ne pas dormir. Entre le vouloir et le pouvoir, le déséquilibre s’accentuait et son état psychique faiblissait : il ne retrouvait un peu d’énergie que par intermittences et la gaspillait trop vite en agissant fébrilement. Cette heure là était des plus délicates : le programme télé changeait et d’ailleurs il ne parvenait plus à se concentrer suffisamment. Ses yeux larmoyaient, les images dansaient, il se demanda si son esprit n’allait pas lui jouer des tours. Une sueur froide accompagna sa réflexion : la flamme s’éteint dés que sa mèche est consumée.
Monique l’avait sermonné lors de sa dernière mésaventure. Lui avait protesté sans conviction : il valait mieux ne pas surenchérir en renvois de balles pénibles et stériles.
C’est une fille bien, mais voilà , elle a toujours manqué de fantaisie, pensa-t-il.
Il fallait bien qu’elle fût organisée car j’ai toujours été du genre rêveur et bordélique, pensa – t-il encore sans amertume. Ces temps derniers, elle frappe à ma porte et me propose ses services de femme de ménage. Etrange venant de sa part : elle qui n’avait de cesse de me répéter qu’elle n’était pas ma bonne. Demain matin, quand elle passera, elle ne manquera pas de me faire observer, en ramassant les quatre tasses de café traînant sur la table basse du salon, que ce n’est pas sérieux. Non, mais sans blague ! Une porte s’entrouvre qui découvre un peu de fragilité et la voilà qu’elle s’y engouffre en s’imaginant infléchir, peut-être, mon entêtement. Bref, il faut que j’admette qu’elle est toujours présente quand je me trouve en difficulté. Nous n’avons pas voulu d’enfants, de fait, j’en suis un, cela lui suffit. Parfois je l’énerve : j’ai mes secrets. Là , par exemple, elle croit dur comme fer que je suis dépressif et je ne l’en dissuade pas. Et si ce n’était pas triste, je m’amuserais presque de ses « John, il faut réagir, ça ne peut venir que de toi ! ». Dodelinant de tête, la gratifiant d’un large sourire, j’acquiesce hypocritement. « C’est ça fiche – toi de moi ! Ca te va bien…et puis je me demande bien pourquoi je me casse encore la tête pour toi. ».
John trouva son hebdomadaire favori sous le programme de la télévision et décida de lire quelques pages. Dans le monde, en Europe, et en France précisément la crise annonçait des jours difficiles. Les hommes politiques s’agitaient en tous sens pour relever une économie soumise aux lois des marchés. Le chômage s’accentuait, des sociétés délocalisaient…Bref, c’était la chienlit généralisée et les élections prochaines étaient l’objet de débats houleux, de coups bas entre les candidats, et de commentaires cinglants dans la presse.
Soudain, il piqua du nez sur la prose au détour d’un paragraphe qu’il avait dû lire deux fois de suite.
Pierre WATTEBLED
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