John se cala dans le coin droit du divan. Le froid l’avait saisi et maintenant il grelottait atrocement, jusqu’à en claquer des dents. Si cela contribuait à le tenir éveillé un petit laps de temps, c’était, à tout le moins, inconfortable.
Son téléphone portable vibra sur la table basse, il s’en approcha par curiosité, c’était une bonne copine mais qu’importe : il ne souhaitait pas se répandre en explications interminables Il nota combien les individus s’ennuyait de manière générale et ne trouvaient pas mieux que d’ennuyer les autres. Ce n’était pas juste pour cette « Monique » avec laquelle il avait passé de bons moments, après tout. Ils étaient convenus d’espacer leurs rencontres pour éviter le piège de l’habitude : à trop se connaître on s’arroge quelques droits sur l’autre, et, alors, elle est bien finie la liberté. Monique étant en instance de divorce et, lui, redevenu célibataire depuis quelques années avaient organisé des relations intimes plutôt aléatoires et épisodiques ; cela faisait leur affaire, à tous les deux.
Il recouvrait un peu de chaleur et son corps se détendait. L’appel de Monique rallumant quelques souvenirs amoureux agissait sur lui plus qu’il ne l’aurait souhaité et il en ressentait des palpitations inquiétantes ; il n’était pas question qu’il brûla la chandelle par les deux bouts : il avait un problème avec le temps et freinait la petite pendule qui frappait sous ses côtes. Il devait y être particulièrement attentif. Ne pas dormir !
Le silence sommeillait sous les ailes d’un papillon de nuit et Dieu seul sait pourquoi, ces dernières évoquèrent, pour lui, les voilettes de deuil que portaient les veuves aux enterrements de son enfance. Silence de la nuit et silence du jour. Silence du temps avec sa mémoire remplie à bloc autant de trop – pleins d’allégresse que de tristesse ; suffisait-il qu’on l’écoutât pour qu’il nous appartienne ? Il n’existait de fait que par notre conscience : autour de nous une diversité de tumultes se propagent en vibrations qui échappent à notre perception ;
La pendule attira son regard, d’un coup sec la grande aiguille basculait le temps compté des hommes. Il racla bruyamment le fond de sa gorge, une espèce de tic qu’il manifestait quand il ressentait un peu de stress ou se contrariait.
John se leva, tourna le dos à la pendule, il eut envie d’allumer une clope et se ravisa. Il esquissa quelques mouvements de gymnastique pour lutter contre la torpeur sournoise et agissante à cette heure de la nuit. Puis il se rassit à nouveau sur le divan, saisit un des coussins qu’il serra contre son abdomen. Cela suffisait généralement à calmer ses angoisses : il en usait tel un enfant avec son doudou. Mais le silence à cet instant était si profond que John observa ces bras blancs et ses poignets enserrant cet objet, leur maigreur l’effraya davantage : combien de temps aurait-il la force de serrer les poings ? Des capillarités veineuses affleuraient sous sa peau translucide et l’idée morbide de leur dessèchement l’habita brièvement. Le silence était tellement profond que le vide l’attirait, l’invitait à rejoindre les soupirs de ses sirènes douces, tendres, et généreuses. Il eut envie de dire merde au silence puis il se ravisa : après tout ce silence n’était que le sien et était juste comme lui seul le ressentait précisément à cet instant.
Il s’ébroua comme un chien au sortir de l’eau, gagna la cuisine pour se préparer un café fort.
Ce faisant John répétait : « ne pas dormir, jamais dormir ». Jusqu’à quel point pourrait –il se tenir à cette vigilance extrême.
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