Je ne veux pas dormir ( 1) Ă suivre.
Je ne veux pas m’endormir. (1)
Un voile invisible obscurcissait peu à peu sa conscience tandis que le silence entretenait son obsession. Il eût été plus facile de céder à l’appel sournois de millions de pixels en pleine effervescence sur l’écran de son pc. Ses poignets en appui sur le rebord du bureau de couleur métallisée, ses doigts suspendus au-dessus du clavier, comme figés, il refusait de sombrer dans la léthargie perverse. Alors, dans un sursaut, il appuya sur la touche off. Une vive fulguration zébra l’écran avant qu’il ne s’éteignit lui donnant l’impression de passer d’une vie à une autre. De fait, en accomplissant cette action, n’avait-il pas imposé au temps d’épuiser l’une et l’autre ?
Le silence changea de registre et ses pensées se délestèrent de leur fardeau excessif qui devint insignifiant, comme annulé.
Néanmoins, le sentiment d’une présence persistait : quelque chose tentait sournoisement de lui ravir son libre- arbitre, d’influer sur le cours de ses décisions. Passer d’une vie à une autre n’avait donc pas suffit à annihiler cette menace de l’inconscience et il se raidit tout entier pour lutter encore. Surtout, ne pas m’endormir, pensa –t-il fébrilement.
Il reposa ses doigts sur le clavier pour bien monter qu’il aurait pu continuer son travail s’il en avait décidé ainsi, passant outre l’irritation de ses yeux fatigués et larmoyants ; cela exprimait davantage un défi. Comme s’il suffisait que la tête ignorât les désagréments dus à son épuisement pour que le corps suive.
Il se leva en repoussant brusquement sa chaise de bureau et gagna la cuisine. La cafetière électrique restée branchée contenait encore au moins trois bonnes tasses de café chaud et c’était là une bonne nouvelle ; il s’en servit une qu’il but prudemment, à petites gorgées. Ce faisant, il observait l’ordonnancement de la cuisine qui était bien sûr un endroit familier.
Dans le même temps John se dit qu’il y avait, disons, quarante cinq bonnes années de cela, il en avait pris conscience, et il percevait, aujourd'hui encore, le temps passant inlassablement au rythme de la secousse régulière d'une aiguille sur la face visibles des heures.
Il admit une fois encore que le temps avait été, et serait encore son problème alors qu’il atteindrait bientôt ses cinquante ans. « Non, dit-il à haute voix, je ne lui céderais pas. Surtout ne pas dormir. ».
Pierre WATTEBLED- le 18 octobre 2011
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