La vie, de guerre, lasse…
Arrêtant ton combat, tu retins, en une longue inspiration, un peu de l’azur surgissant à la croisée de la chambre. Ce fut l’ultime grâce offerte à tes yeux fatigués ; ils s’attardèrent longtemps, trop longtemps avant de se perdre en une autre dimension : au-delà de l’apparence immobile ; seul, l’univers du silence entretiendrait le mystère en me ramenant inlassablement à tes convictions d’homme athée : pour toi, il n’y avait qu’un simple retour à la terre- mère.
J’ai là quelque part dans ma mémoire, du côté du cœur, des images anciennes :
… l’ombre d’un homme à l’heure vespérale au labeur dans la plaine. L’ombre arc-boutée faisant corps avec la charrue tirée par deux chevaux de trait boulonnais ; le soc et l’homme, l’homme et le soc fusionnaient, traçant de longs sillons luisants et rectilignes. A cette évocation, je me dis que le silence a ce regard profond dans lequel nous pouvons nous perdre entre la vie et le néant.
…Du néant, à la vie, le geste auguste du semeur avait projeté de bien belles moissons, les épis de l’abondance dansaient le renouveau sur leurs échasses mouvantes et dorées.
Ce jour – là , le soc entaillait la bonne terre noire, les chevaux renâclaient et secouaient leur puissante encolure faisant virevolter leur crinière de crin clair, échevelée et drue. Si besoin, tu maîtrisais l’attelage d’un léger coup de bride, et de quelques mots que le silence absorbait immédiatement.
Car le silence…,
Est le maître en toute chose. Qu’on le veuille, ou non, il s’impose avant de tomber comme une chape. Serait-il le lit de l’existence et de l’essence ? Communes, là , dans le voisinage ; présentes jusque dans l’absence ; toujours discrètement inscrites dans une réalité étouffée par les rumeurs ; le silence berce deux enfants : le souvenir et l’oubli.
Le silence…
Reste le maître en tout et son regard profond contient autant de révolte que de soumission : il pourrait être lu par un regard égal ; ses vibrations étonnantes, hors du temps de la réalité commune, en font, par sa densité, un flux musical incomparable qui bouleverse l’âme humaine. C’est, là , cette vison singulière du poète, mais tout de même…
Une question se pose relativement à ce silence prédominant ou succédant : sur quelle base établit-il sa suprématie, au final ? Les non-dits ? Une attitude hypocrite ou simple retenue ? A moins que l’ignorance partielle, dans laquelle ce silence nous tient, ne nous soit nécessaire au fond ; qu’elle aiguise notre curiosité d’aventures, accessoirement de vérités.
Dans ce silence…
La méditation improvise : nos pensées cheminent sans craindre l’effet dilatoire, annule la notion de durée, supprime les frontières et les définitions ; une histoire de perception à l’évidence dans les dimensions floues et lâches du songe.
Toi…
Oui, toi ! Toi exigeant le sillon rectiligne, avais-tu cette conscience aiguë à propos de ces choses, étais-tu enclin à certaines métaphores plus qu’aux considérations terre à terre ?
Le silence sur une terre à taire : une terre à taire sur l’horizon pesant où, la vie , de guerre lasse, étreint les gisants et leurs ombres gigantesques livrées au grand mystère du regain et du néant.
Pierre WATTEBLED. Le 14 mai 2011
Ps: en souvenir de l'oncle René décédé récemment.
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