Pour une bouffée d'hydrogène
Comme la feuille qui voltige,
Comme le chêne qu'on abat,
Ma certitude est au plus bas,
Prise en un sordide vertige.
Je n'ai plus le goût de l'ivresse,
Je n'ai plus le sens du devoir.
La clarté devient un trou noir
Amputé de toute allégresse.
Mes strophes ! mes roses mourantes
Sans vous, hélas, je dépéris !
Tous les mystères de Paris
N'ont point vos faveurs odorantes.
Tout est feint, tout est inutile,
Le labeur va au fond du puits
Et j'obtiens pour unique appui
Une page poussive et futile.
Je ne suis qu'un simple acrobate,
Un rimailleur et un vaurien
Qui n'entend absolument rien
A deux, Ã trois, Ã quatre pattes.
Sans cesse je suis à l'écoute
Du vent au-dessus des cargos
Et je reçois pour seul magot
Le prix de l'errance et du doute.
J'envie la racine et la souche
Ancrées fermement dans le sol ;
J'envie l'ombre du parasol
Comparée aux mots de ma bouche.
Je fonds au bout de mon angoisse,
Jetant l'encre et levant le mat !
C'est la rançon de l'anonymat
Que cette page que l'on froisse
Car au bord de ce précipice
Je vois toute la création,
Toute cette abomination
Érigée en vaste principe.
Alors, mon esprit monte et vole
Au delà des espaces nus.
Ces cieux ne sont pas inconnus
A celui qui renie l'idole.
Je vais dans le vide cosmique
Comme un ange en lévitation
Observant la désolation
Sur cette boule mélodique.
Bientôt, l'univers se dilate.
Je croise les astres lointains,
Des mondes étranges, hautains,
Où tout succombe, où tout éclate.
Et bravant sans la moindre gêne
Les cellules de l'univers,
J'avale mon intime enfer
Pour une bouffée d'hydrogène.
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Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ! (Alfred de Musset)