On voyait s'en venir l'hiver :
Le boulevard semblait couvert
D'un manteau de glace et de verre,
Poudré de frimas de lumière.
Je promenais en bandoulière
Ma mélancolie coutumière,
Jouet des brumes saisonnières,
Pantin des grisailles polaires.
C'est à deux pas du presbytère
Que mes yeux soudain se posèrent
Sur l'enseigne : un gras corsaire
S'envoyait un pichet de bière.
Alors je me suis dit qu'un verre
Ne me porterait pas en terre,
Que m'envoyer la tête en l'air
N'empoisonnerait pas mes vers,
Que j'y trouverais les yeux verts
Aux jolies pantoufles de vair
Qui mettraient fin à mon calvaire
De romantique solitaire.
J'ai bien failli finir en bière
Tant j'ai travaillé la matière,
Mais dans ce troquet délétère,
Hormis l'ogresse tavernière,
Je n'ai trouvé nulle infirmière
Pour panser mes plaies fessières.
C'est là qu'un vacillant compère
S'est dit qu'on faisait bien la paire
Et, d'une voix crépusculaire,
Me suggéra, entre deux glaires,
Une discothèque où prospèrent
D'accueillantes célibataires.
Alors je me suis dit qu'un verre
Ne me porterait pas en terre,
Que m'envoyer la tête en l'air
N'empoisonnerait pas mes vers,
Que j'y trouverais les yeux verts
Aux jolies pantoufles de vair
Qui mettraient fin à mon calvaire
De romantique solitaire.
Si le vice a son sanctuaire,
Ce club a du faire l'affaire :
J'ai vu plus de fard à paupière
Que de tissus sur les commères
Qui paraissaient mettre aux enchères
Leur ravissant petit derrière.
Mais c'est sans fleur dans ma panière
Que j'ai dû de l'enfer m'extraire :
Mon partenaire de galère
Eut, pour une sexagénaire,
Un geste quelque peu vulgaire ;
Et c'était la propriétaire ...
Faute de pantoufle de vair
pour habiller de beaux yeux verts,
J'ai raccompagné mon calvaire
Dans son repaire solitaire
Pour y dessiner quelques vers
Qui ne sauveront pas la terre
Mais qui me sifflent toujours l'air,
La mélodie d'un dernier verre.