Qu'ils me pardonnent, demain je...
Qu’ils me pardonnent, demain je rejoindrai
Le soleil depuis l’aube s’épuise à percer l’invisible barrière qui nous sépare. A cette heure, encore, il pénètre le secret du double vitrage. Il est là dans le living en un rai consommant un peu de ma peine comme ferait un amant de passage. Je ne lui ai rien demandé : j’abhorre la solitude qui succède aux départs. D’abord, j’ai reçu ses flèches aveuglantes en plein regard ; certaines blessures sont incontournables qui atteignent l’âme déchirée entre le sacre du deuil et celui du bonheur.
Un inconnu passe sur le trottoir d’en face, m’apercevant à la fenêtre, il me fait un signe de sympathie. L’œil atone, je lui accorde peu d’intérêt. Suis-je telle une statue de pierre qui mime la vie douloureuse en un geste tragique, figée à jamais dans l’absurdité de l’existence devenant immortelle. Qu’ils me pardonnent, demain je les attendrai…lui et le soleil.
Une belle s’élance, trotte-menu, crinière folle flottant au vent, visage ardent, ravissante, ravie à mon désir brutal : j’aurais aimé comme ce soleil impétueux caresser sa peau, ressentir ce plaisir frémissant dans sa chair, être le verbe de ses lèvres. Peut-être même l’histoire de son enfant. Je ne lui ai rien demandé : j’abhorre la solitude qui succède aux départs, ce spleen profond qui terrasse d’emblée toutes perspectives. Elle, elle devait transporter ce parfum subtil des fleurs exhalant la vie. Je la perds de vue en un millième de seconde et je me retrouve avec ces blessures qui atteignent le cœur déchiré entre le sacre du deuil et celui du bonheur.
Un inconnu, une belle, un enfant passe puis repasse, ignorant ma fenêtre et au-delà ma tristesse, mon exil ; à la fois calfeutré dans l’insidieuse torpeur du nid et transis d’effroi. Que pourraient-ils connaître de ma cage d’oiseau désailé. N’est-ce pas mieux ainsi, mon chant s’étrangle dans ma gorge en d’horribles sanglots ? Le soleil s’est barré en un trait rouge, rageur il n’était qu’une faute de goût sur la plainte anonyme d’une âme déchirée entre le sacre du deuil et celui du bonheur.
Qu’ils me pardonnent, demain je rejoindrai…l’inconnu, la belle, l’enfant, le soleil, et l’absence…avec ses blessures incontournables qui atteignent l’âme déchirée.
Pierre WATTEBLED
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