La sirène aux yeux d’or.
----------------------------
Ebloui par sa grâce et suivant son sillage,
je regardais marcher cette femme aux yeux d'or,
qui lançaient des éclairs comme ferait l'orage,
belle comme une jonque de bâbord à tribord.
Elle semblait un navire à son appareillage,
effleurant les eaux bleues toutes voiles dehors,
et comme une goélette en quittant son mouillage,
déhalait sa carène en roulant bord sur bord.
Les Dieux étaient témoins de ma bonne aventure,
et Neptune amusé, soufflant une petit' bise,
un zéphyr souleva avec désinvolture,
le jupon de la Belle, quelle vision exquise!
L'espace d'un instant je crus apercevoir,
les Iles sous le Vent et leurs blondes collines,
car la brise friponne me laissait entrevoir,
ce beau morceau de choix de sa grâce divine.
Je me pris à rêver d'accoster ce rivage,
cette terre inconnue, cette île aphrodisiaque,
comme le matelot partant à l'abordage,
dans le coupable espoir d'une orgie dionysiaque.
Elle succomberait à mes derniers outrages,
emportée par les flots déferlants du plaisir,
et son cœur chaviré, sombrant dans un naufrage,
ses beaux yeux d’or luiraient de l’éclat d'Altaïr.
Tout à mon rêve cru, j'arrivais à hauteur
de la belle inconnue qui me fascinait tant...
Mais l'outrage des ans avait marqué d'horreur,
une bouche flétrie qui n'avait plus qu’deux dents.
Et ce que j'avais pris pour prunelles dorées,
étaient ses dents en or, les seules qui restaient,
et qui ornaient encore d'un éclat mordoré,
un trou noir et sifflant servant à respirer.
Morale :
Que vous soyez mat’lots, capitaines de corvette,
pour l’île de Cythère embarquez prudemment.
Avant de regarder les fonds d’une goélette,
assurez vous d'abord qu'elle a tout son gréement.
Et s’il fallait traduire, pour qu’enfin ils comprennent,
à ceux qui de l’Amour ne sont que débutants:
Avant de regarder les fesses(1) d'une sirène,
assurez vous d’abord qu’elle a toutes ses dents.
Vive la Marine !
(1) à l'origine, j'avais employé un synonyme de trois lettres seulement.
On m'a fait remarquer qu'il n'était pas très poétique.
A vous de voir cependant si vous le préférez.
----------------
La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
(Charles Baudelaire)