Tableau technique mixte aquarelle/acrylique/pastel
Rue Mirabeau, Ã Valras-Plage
Un beau matin d’hiver, un soleil à lever. Je reviens du marché au poisson, chargé de bouts de mer pour retrouver ma rue. A cette heure, c’est désert. Moi, je la trouve belle, malgré le panneau qui signale qu’on ne stationne pas et les congères de feuilles mortes qui s’accrochent aux entrées.
Hier soir il avait plu et la rigole centrale qui joue à l’oued charrie des zestes d’eau vers le caniveau du boulevard. Ah, faudra qu’on dise au Maire de faire boucher les trous du macadam hors d’âge. Elle n’est pas bien longue : à peine deux cent mètres, du boulevard jusqu’à l’énorme mûrier platane qui fait office de rond-point pour la venelle la reliant à sa sœur jumelle la rue Danton.
Pas bien large non plus : à peine quatre mètres, et moins encore au droit des poteaux électriques, des deux lampadaires et le téléphone, sans compter la ramure dénudée qui déborde des jardins : mûriers, figuiers, et le lierre envahissant… Les grilles de fer forgé, les claustras, les murs aux volets bleus, portes et portillons constituent la frontière, à dextre et à senestre. Ça pourrait être sinistre, malgré le bouquet d’ocres des murs, malgré les persiennes vertes et bleues, malgré la froide bise.
Je passe les maisons, autrefois de pêcheurs, toutes si dissemblables. Leurs murs cèlent histoires dont je sais les chansons. Un désert illusoire habité en saison.
Au terme de l’asphalte, ma rue part en jachère via méditerranée. Premiers rayons de feu et soudain tout s’éclaire. C’est un matin radieux, c’est la fin des mystères. Chez moi, c’est 4bis.
Sautons sur estivales….
Après ‘’vos gueules les mouettes’’, le jour peut commencer. J’ai ouvert les volets, avalé mon café. A huit heures tapantes, mon voisin fait de même. Lui, c’est eux, résident à l’année. Les seuls et les uniques : Antoine et Laura. En couple sur le tard, émigré de Savoie, tombés sous le charme du lieu. Ont viré hédonistes. Transformé une remise en paradis d’été, plus quelques radiateurs, un nid chaud pour l’hiver. Ajoutez un petit caniche, polisson policé, Léo le bien nommé, car c’est vraiment le roi. Il vient souvent nous voir, ou plutôt nous chercher, pour boire le pastis, taper une belote, manger une choucroute ou aller à la plage. Adorable Laura, restée grande coquette, faisant fi des printemps…
Peu de gens, direz-vous ? Attendez mes amis, patientez donc un peu ! L’été est arrivé, et sous le store banne, je regarde passer : Oui, y a des gens qui passent. Plein, plein. Et parmi eux : Le facteur mobylette, le Fangio en rouflaquettes ; et le toubib du 4, qu’a besoin de réparer son chauffe-eau .Mon voisin d’en face, Robert, m’avise qu’ils sont là , les deux municipaux qui vont boucher les trous. Il en profite pour ramener la perceuse et passer le journal. Après il y a ceux du 3 et connexes, alliés du toubib, brus, frères, tantes et jeunes générations. Toute une smala. Les locataires du fond, ceux qui sont de quinzaine, qu’on revoit tous les ans. Ils viennent de Pamiers, ont un futur avant qui aime les gâteaux. Petit frère en commande. Y a Claude et Colette, et puis les Italiens, liés aux parisiens, et à notre docteur. Vous pigez ? Bon, du 1 (Claude, Colette), au 3 (Robert) et du 2 au 6 (Antoine, Laura, Smala Daktari, Pamiers et nous, toute la rue est là , curieuse et diserte. Pamiers et Claude : cent dix kilos, ballon ovale, palmarès éloquent…
A commencé à faire un peu de ciment, assaillie de conseils, la brigade des feuilles, bouché un demi trou. Le facteur est coincé, vu l’ampleur des travaux.
Comme c’est devant chez moi, et qu’il fait un peu chaud, j’ai offert à boire : peuchère, ils travaillent.
Un petit quart d’heure plus tard, on était plus de quinze à squatter la terrasse, à tortorer et boire, la rue livrée aux gosses. Rien de prémédité, ça s’était fait tout seul. J’ai vidé mon frigo, sorti tout sur le pont : chaises et pliants et tabourets. Même mon escabeau servait de cul-repos. Vaisselle de papier, charcuteries diverses, amuse-gueule, biscuits sucrés salés, assortiments d’alcool, des jus et du vin blanc, de quoi le servir frais. C’était si convivial, une ambiance infernale. Chacun disait son mot, racontait des histoires et refaisait le monde. Les gamins jouent à des jeux de gourmands, crient et se chamaillent, font des misères aux chiens.
A midi et demie, les toasts sont plus comptés, et les trous pas bouchés. Le facteur dit en se frappant le front : « Putaing, et mon courrier! » donnant le signal de la débandade. Nous, on n’avait plus faim, ni soif non plus d’ailleurs. Ces dames ont fait la plonge, les enfants la razzias des restes salés et sucrés, sans se faire prier. Le labrador des parisiens fait terrasse nette, aidé du caniche Léo.
Comment me direz-vous, vous en aviez pour quinze ? Eh oui, que voulez- vous, suivant l’humeur du temps, c’est chez moi que ça tombe. Ça peut tomber ailleurs. Alors tout est prévu, même l’ombre. Voilà , c’était comme ça dans la rue Mirabeau….
Valras, Février 2005
Parceval