La cigale ayant chanté
Tout l'été,
Dans maints casinos, maintes *boîtes,
Se trouva fort bien pourvue
Quand la bise fut venue.
Elle en avait à gauche, elle en avait à droite,
Dans plusieurs établissements.
Restait à assurer un fécond placement.
Elle alla trouver un renard,
Spécialisé dans les prêts hypothécaires
Qui la voyant entrer l’œil noyé sous le fard,
Tout enfantine et *minaudière,
Crut qu'il tenait la bonne affaire.
« Madame, lui dit il, j'ai le plus grand respect
Pour votre art et pour les artistes.
L'argent, hélas ! n'est qu'un aspect
Bien *trivial, je dirais bien triste,
Si nous n'en avions tous besoin,
De la condition humaine.
L'argent réclame des soins.
Il ne doit pourtant pas devenir une gêne.
A d’autres qui n'ont pas vos dons de poésie
Vous qui planez, laissez, laissez le rôle ingrat
De gérer vos économies,
A de trop bas calculs votre art *s'étiolera.
Vous perdriez votre génie.
Signez donc ce petit blanc seing
Et ne vous occupez de rien. »
Souriant avec bonhomie,
« Croyez, Madame, ajouta t il, je voudrais, moi,
Pouvoir, tout Comme vous, ne *sacrifier qu'aux muses
Il tendait son papier. « Je crois que l'on, s'amuse »,
Lui dit la cigale, l’œil froid.
Le renard, tout sucre et tout miel,
Vit un regard d’acier briller sous le rimmel
Sachant le taux exorbitant que vous prenez,
C’est que j'entends que la chose rapporte
Je sais votre taux d'intérêt.
C'est le mien. Vous l'augmenterez
Légèrement, pour trouver votre bénéfice.
J'entends que mon tas d'or grossisse.
J'ai un serpent pour avocat.
Il passera demain discuter du contrat.
L’œil perdu, ayant vérifié son fard,
Drapée avec élégance
Dans une cape de renard
(Que le renard feignit de ne pas avoir vue),
Elle précisa en sortant ».
« Je veux que vous prêtiez aux pauvres seulement... »
(Ce dernier trait rendit au renard l'espérance.)
« Oui, conclut la cigale au sourire charmant,
On dit qu'en cas de non paiement
D'une ou l'autre des échéances,
C'est eux dont on vend tout le plus facilement. »
Maître Renard qui se croyait ?cynique
S'inclina. Mais depuis, il apprend la musique.
Jean ANOUILH
Fables
éd. LA TABLE RONDE (Livre de Poche)
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