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L'aigle et la nue L'aigle et la nue
La nue Aigle libre qui dans le ciel erre Et déploie ses ailes loin de la terre, Ami de la divine immensité, D'une amante au front pâle daigne écouter Les doux soupirs et les douces prières! Quand je vois reluire ta prunelle fière Dans l'azur immense, comme le soleil, Mon œil que ne ferme point le sommeil Avec ses doigts blancs, se remplit de larmes! Tu t'envoles, sourd à mes alarmes Et insensible à mes cruels tourments; Pourtant, amant dont l'âme est courroucée, Ton œil, plus puissant que l'œil de Lyncée, Me voit, et tu ne me consoles point! Ulysse des airs, où vas-tu si loin? Ta Pénélope, à tes vœux fidèle, À son rivage amoureux t'appelle! Ô, toi qui es plus brave que les lions, Pour nulle Hélène ne combat nulle Ilion! Si Jupiter, ton maître et ton père, Dont tu portes le Foudre dans tes serres T'y envoie, au doux nom de notre amour Jure-moi, mon amant, ton prompt retour, Ou emporte-moi comme Ganymède Du dieu qui t'envoie l'amant et l'aède! Ô, emporte-moi dans tes puissants bras À l'azur où t'appelle l'époux d'Héra! Quoi? Tu t'en vas, et moi je demeure? Vois mon cœur qui saigne et mon œil qui pleure Ou, si tu consens à m'abandonner…
L'aigle Au nom du soleil prompt à rayonner Dans l'azur que ses rayons éclairent, An nom de la nuit qui vint nous plaire, Tant de fois quand, t'aimant comme tu m'aimais, Sur ton sein propice je m'endormais, À mon amour n'impute point ce crime! Ô, nue! De tes feux je suis la victime, Je t'aime et je ne puis te haïr, Mais, hélas! Je ne puis désobéir Aux arrêts d'un père redoutable! Que m'importe cette guerre effroyable, Moi, maussade amant dont le cœur est las? J'abhorre Pâris comme j'abhorre Ménélas! Mon Hélène est ici, ma douce Hélène! J'eusse aimé respirer ton haleine Et rallumer ton flambeau embrasé Par le feu pur de mes ardents baisers; J'eusse aimé, dans ta couche charmante, Endormir ce cœur qui me tourmente, Ce cœur qui n'aima et n'aime que toi! Mais il faut obéir. Telle est la loi Du sort. Appesantis par les blessures, Les Grecs à Troie attendent un augure. Agamemnon comme Ménélas gémit Et mon père, hostile à leurs ennemis, Dieu et juge parmi les dieux augustes, M'envoie, secondant leur cause juste, Raffermir leurs bras aux fers impuissants. Troie tombera car mon père y consent. En vain les dieux eux-mêmes la secondent! Le Foudre la frappera, cette ville immonde, Hector, pour les crimes de Pâris châtié…
La nue Ne suis-je point digne de ta pitié Si de ton amour tu me dis digne? Sans toi Jupiter peut montrer ses signes, Qu'il en emplisse le ciel et la mer! Qu'il en charge les vents à Éole chers! Les mortels, avec leurs armes puissantes Qui à la guerre, insensées, consentent, N'en peuvent point rougir le sein immortel! Qu'à ces Grecs qui encensent ses autels Il dicte ses arrêts dans les temples! Mais que mon amant de loin contemple Le carnage maudit aux sombres attraits! Ah! De ces Troyens je crains tous les traits! Je ne vivrai point si ces traits te blessent! Aigle puissant, ne raille point ma faiblesse, Toi dont l'amour pâlit mon front hagard! L'aigle Et de tes sourires, et de tes regards, Et de l'hymen qui unit nos âmes, Mon cœur épris, que tu remplis de flamme, Toujours fidèle, se souviendra toujours! À tes prières je ne suis point sourd; Je ne puis trahir un cœur qui m'aime! Dussent les Grecs périr, dussé-je moi-même Gémir, par les fers des Troyens blessé, Par les vents et les ondes bercé, Je reviendrai à ta couche blanche Et comme l'humble hirondelle sur sa branche Sur ton sein béni je me reposerai! Attends-moi, ô, ma nue! Je reviendrai Et je déploierai mon aile preste Loin de Troie où les Achéens restent! Par la guerre mon cœur n'est point endurci!
La nue Et moi, fidèle, je t'attendrai ici En comptant les nuits et les aurores Que mon cœur tremblant pour tes jours implore!
L'aigle Douce nue, tu n'attendras point longtemps; Je reviendrai, nos cœurs seront contents!
*PS: Chers amis poètes, Ce poème s'inspire essentiellement de la mythologie grecque. "L'aigle" en question est l'aigle de Zeus. J'ai choisi de le remplacer par Jupiter, son équivalent romain, pour des raisons esthétiques; le nom de Jupiter est tout simplement plus élégant à dire, donc à écrire, en français, étant d'origine latine (ce n'est point une règle générale, la langue grecque peut également être très élégante, surtout le grec archaïque). Ledit aigle est amoureux d'une "nue" (ou d'un nuage); ce substantif n'est guère utilisé au singulier, je l'emploie à cette forme par amour de la langue classique, dont la beauté et la concision me fascinent tant. L'on sait que l'aigle est l'oiseau et le messager de Zeus, et ce grâce à la "Théogonie" d'Hésiode (Th. 507 ), à la tragédie d'Eschyle "Prométhée enchaîné" (Prom.1022 ), à l'"Antigone" de Sophocle (Antig.1040), à l'"Hélène" d'Euripide (Hel. 17), à la "Description de la Grèce" de Pausanias (Desc. V, 22, 5 ; 7), aux "Idylles" de Théocrite (Idylle 15, 124 - Les Syracusaines ou les Fêtes d'Adonis), à la "Bibliothèque" d'Apollodore (Biblio. III, 12, 2) et à "l'Odyssée" d'Homère (Od. II, 146). Ce poème s'inspire justement, mais d'une manière implicite, d'Homère, et plus précisément de sa très fameuse "Iliade". Voici le détail de l'Iliade qui m'a inspiré: Homère y décrit l'aigle comme un "annonciateur" (l'aigle est également devenu l'attribut de saint Jean l'Évangéliste, voilà une curieuse analogie): Hector attaquant bravement les Grecs vaincus, Agamemnon exhorte, dans une harangue (procédé homérique par excellence) ses soldats à combattre l'ennemi; Zeus eut pitié de lui et, grâce à un signe qu'il envoya à l'armée grecque, un aigle enlevant un jeune faon, permit à l'armée grecque de reprendre courage (Il. VIII, 247). Dans mon poème, je dépeins, dans une fiction poétique, ce même aigle, amoureux de sa nue, allant à Troie pour dévoiler aux Grecs ce signe de Zeus. La nue, son « amante » (à prendre au sens classique: "sa bien-aimée"), essaie, par crainte et par amour, de l'en dissuader. Mais l'aigle parvient à la convaincre de le laisser partir, en lui promettant de revenir vivant à sa couche. Désolé, encore et toujours, pour tant de longueur. Je ne prétends guère enrichir votre très bonne culture. Je voulais juste apporter la lumière sur quelques détails expliquant les origines mythologiques de ce bien humble poème.
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