2 - Soudain
Et soudain, il y eut cet anodin frisson,
Énigmatique instant, sans couleur et sans son,
Premier tremblement de l'éternelle moisson !
Il y eut donc ce bris, cette faible fêlure,
Pareille au léger bruit d'un œuf qui se fissure,
Dans une marmite sous une flamme obscure.
On pouvait percevoir de légers craquements,
Doux signes précurseurs d'un grand bouillonnement.
Et la chose ordonnait son propre ébranlement !
Le poussif mouvement gagnait en amplitude
Et venait corrompre cette morne habitude
Jusqu'au point d'altérer tout pic de certitude.
Et la chose inconcevable se concevait,
Minant cette harmonie dans son brouillard épais,
Brisant brutalement avec l'antique paix.
L'univers pris par une énigmatique alarme
Grondait nerveusement dans un puissant vacarme
En vue d'élaborer le miraculeux charme.
Tout n'était que songe, rumeur, balbutiement.
L'horizon, en phase d'un long enfantement,
Était convaincu de son propre avènement.
Ce qui semblait être mort sembla prendre vie !
Un faible bruissement, fait de molle énergie,
Montait en crescendo comme une folle envie.
Ô point insolite au milieu de nulle part,
Caché parfaitement dans l'infini épars,
Privé de frontières, dépourvu de remparts !
D'autres frissons perçaient parfois ce corps inerte.
Un court souffle de vie semblait donner l'alerte
Et voulait emporter cette épave à sa perte.
De cet agglomérat de boue et de vapeur,
De matière placide et de douce torpeur,
Patientait posément le vent de la stupeur !
L'ensemble de la matière, à l'état de poudre,
Rassemblée en un point grand comme un dé à coudre,
Attendait patiemment son réveil par la foudre.
Il n'y avait ni fondations ni firmament !
Rien ne présageait un tel déferlement
Qui emportait tout dans un terrible tourment.
C'était de la patience enfouie dans un prisme,
Sagement endormie dans un doux attentisme.
Sous cette quiétude couvait un cataclysme !
Alors, tout bascula d'un battement de cœur :
L'univers éructait un halo de rancœur
Quelque chose naissait en ce monde hurleur.
De ce corps vagabond, nébuleuse parcelle,
Allait bientôt jaillir la timide étincelle.
Qui embrasa le ciel de sa flamme éternelle.
C'était un trou empli de tourbillonnements,
Un infâme bouillon fait de tressaillements
D'où sortaient d'imperceptibles crépitements.
Ce corps spectral, tantôt chu dans la léthargie,
Déployait maintenant une obscure énergie
Rompant brusquement cette totale apathie.
----------------
Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ! (Alfred de Musset)