J’ai vu passer des hommes au fond de mon jardin
Des bruns, des blancs, des noirs et même des cuivrés
Quand il faut les nommer on dit : « c’est des roumains »
Mais de la Roumanie ils n’ont aucune idée
On m’a dit qu’ils fuyaient la guerre ou bien la faim
Qu’ils marchent sans arrêt, qu’il n’y a pas d’asile
La longue migration a pour une unique fin
La police ou la mer arrĂŞtant leurs exils.
Un canard s’est posé au fond de mon jardin
Si loin de ces frontièr’s qui lui sont imposées
Goéland ou canard ? en fait je n’en sais rien
Car depuis si longtemps le ciel est déserté
Je me suis conformé aux strictes instructions
Dans mon scaphandre d’or je me suis approché
J’ai immolé la bêt’, princip’ de précaution
Avalé mon vaccin et informé l’armée
J’ai vu passer des hommes au fond de mon jardin
En vestes Cerruti , bronzés toute l’année
Dans des costum’ standards cousus par des gamins
Ils savent tout les pièg’s de la médiocrité
Ils courent par le monde en croisant nos Roumains
Ils vend’nt, liquident, achètent, ils spéculent et engrangent
Ils veul’nt tout le gâteau, mais oublient. C’est malin !
Que le meilleur mangeur est le dernier qui mange
J’ai vu tomber le ciel au fond de mon jardin
Il est gris, il est triste et il est tout mouillé
On le trouvait si bleu pendant les soirs de juin
Mais le voilà à terre, des usin’s l’ont tué
Il est tombé en eau, en neige et en tempête
Sur nos toits encombrés d’antenn’s paraboliques
Je zapp’ les reportages qui veul'nt que l’on s’inquiète
Et gard' mon attention aux déballag's publics
J’ai vu entrer la mer dans le fond du jardin
C’est la fonte des icebergs, nous a dit la télé
C’est la faute aux cochons, au nitrat’ du purin,
Au pétrole, à l’Ozone, au droit à consommer
Moi je serais sauvé j’ai encor' des emprunts
On ne peut me laisser je dois tout rembourser
Quand je pense aux efforts que faisait mon voisin
Pour trier ces déchets, mais le voilà noyé
J’ai vu péter la terre au fond de mon jardin
Un’ pelous’ synthétiqu’ de station orbital’
Je ramassais le fer et le nickel martien
J’ai vu le dernier « clic » du reflexe fatal
J’ai vu mourir la terr', mais c’qui est embêtant :
C’est qu’du coup j’ai aussi perdu tous mes clients !
J’ai vu passer un ours au fond de mon jardin,
J’ai vu passer la peur, des guerres de religion,
Des baleines, des phoques et de grands lamantins.
J’ai vu passer le vent et les lamentations.
J’y ai vu les vaches folles et les antibiotiques,
Des cultures d’OGM, J’ai vu passer l’enfance.
J’ai vu naitre l’extrême et la faim en Afrique.
J’ai vu passer l’amour. J’ai vu passer ma chance.
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“C'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde - Paul Eluard”