La pomme était sucrée et croquait sous la dent
Eve était si conquise qu’elle tendit à Adam
Le fruit rond qu’elle venait, en riant, de cueillir
Sur l’arbre qu’instamment Dieu venait d’interdire.

A cet instant suprême, et le temps d’un regard,
Alors que fraîchissait l’air embaumé du soir,
Les yeux d’Eve s’ouvrirent et elle sut de la vie
Tout ce qui rend humain : l’espoir, la mort, l’envie,
Ainsi que la souffrance, ainsi que les regrets,
La culpabilité, les remords, les secrets
Qu’on cache dans la honte lorsqu’on a défailli.
Le serpent vit alors comme Eve avait pâli.
Mais elle connut aussi, et simultanément,
La force qu’il faudrait pour vaincre les tourments,
La fierté de l’humain, qui sait qu’il est mortel
Et ne doit son bonheur qu’au courage fidèle.

Elle attendait Adam, angoissée, cœur battant
D’avoir à porter seule ce fardeau de Titan.
Même le noir serpent se tenait immobile,
Les yeux rivés sur l’homme, indécis et fragile.

Et, regardant la femme déjà si loin de lui,
Pour la rejoindre là où son âme avait fui,
Il mordit d’un seul coup, comme on plonge un poignard.

Un lourd vent agita les branches dans le soir.