Lumières
Il fait nuit maintenant. Le fleuve bienveillant
paraît ne plus couler. Son eau a disparue,
A sa place, installé, un miroir scintillant
Se trouve éclairé par les lumières des rues.
Sur la berge, en dessous, l'âme installée se meut.
J'entends Albinoni jouer un concerto
Et je vibre, allégro et mon esprit s'émeut.
Le cœur se voit alors serré dans un étau.
Dans la fuite des rues, les maisons embellies
Par leurs lumignons, aux fenêtres, éclairés
Me font le monde beau et me réconcilient
Avec ses noirs couloirs où j'ai longtemps erré.
Le vent souffle un air chaud, je ne veux pas dormir.
La faim me laisse en paix. Le temps n'existe plus
Et j'attendrai demain, le matin, pour blêmir.
J'ai ce soir rémission de ma peine en surplus.
Allégée par la faim mon âme libérée
Ne différencie plus notre Terre du ciel.
Elle voyage de l'un à l'autre, éthérée.
Je n'ai bu ni fumé, préférant l'essentiel.
Après bien des moments passés en cet état,
Je me décide enfin à retourner chez moi.
Plein du rêve éveillé, que la nuit me conta,
Je m'en vais me coucher, oublier ces émois.
Dans la chambre scellée la pénombre alourdit
Le cœur mal éveillé au sortir de la nuit.
Une histoire en lambeaux, par les rêves ourdie,
M'appesantit l'âme et la plonge dans l'ennui.
Sous la couette, noyé, je resterais gésir
Jusqu'à la mi-journée, tant je me crois pesant.
Malgré la faim venue je n'ai aucun désir.
Par les volets bien clos coule un long trait luisant.
Les yeux rivés sur lui je vois, en son faisceau,
Comme des papillons voleter par millier.
Je me lève, attiré aux sources du pinceau,
Ouvre les volets sur un jardin familier.
La lumière du ciel me saisit à l'instant
Et me laisse cloué, les yeux presque blessés.
L'air frais s'engouffre alors, me laissant haletant.
Les parfums du jardin viennent me caresser.
Après le déjeuner je vais en ce jardin
Et sous un peuplier empli de lumière,
Je m'installe, oublieux de ces désirs mondains
Qui cachent, à nos yeux, la cause première.
La pluie de vif argent s'écoule jusqu'à l'herbe
Où je reste allongé, la regardant tomber.
La lumière vient au travers des gerbes
de feuilles et sa beauté me fera succomber.
Je suis vidé de moi et emplit par le tout.
L'adagio silencieux composé par le vent,
Me tire des larmes venue de Manitou.
Je me retrouve ici sans penser à l'avant.
Un bonheur infini me tire hors de ce corps,
Que je prenais pour mien et duquel je m'échappe.
Voilà que je me fonds, fais partie du décor:
L'âme s'est agrandie, décollée de sa chape.
Un nuage, arrivé, vient cacher le soleil
Et la pluie cesse alors, la pluie de lumière.
Le soir, sur le ciel, appose sa vermeille.
L'âme retrouve alors sa gaine première.
----------------
la paix, la paix, la paix c'est tout ce qu'il me faut.