Un
Puisque le monde est rempli de Nous,
Eliminons tous les moi,
Qu’ainsi disparaissent les années
Et que le temps ne soit plus que l’extension de nos mains unies,
Eternel !
Non pas Dieu ni les âmes mais l’idée créée,
L’espoir !
Mot vivant parmi les zombis, mon cher Henry.
Pourquoi n’ai-je pas votre talent, votre génie ?
Comment puis-je égaler le divin d’une plume mortelle ?
Mais laissons l’individu et parlons du Un,
L’amour ne peut s’éveiller que dans les cœurs ouverts,
Les ailes tendues, prêtes au vol commun vers des soleils accessibles.
Les rivières, les arbres, les prairies sont faits pour la terre,
Mais Nous est fait pour les cieux, pour l’élévation, pour les rêves,
Nous est l’ange qui vit dans une enveloppe de chair,
Trop souvent bâillonné par la cupidité, l’égoïsme, l’opportunisme,
Trop souvent ligoté par le pouvoir, l’autorité, la mainmise.
Pourtant les nuages eux aussi ont besoin de repos,
Les pluies sont parfois trop lourdes à porter,
Elles tombent alors sur ce monde de tout leur chagrin,
Et sur les ailes de l’ange perlent des larmes qui le lestent et l’enracinent encore plus.
Ô Henry, où es-tu ? As-tu trouvé des hommes ?
J’ai cessé ma quête, la déception était ma sempiternelle découverte,
Seuls tes livres m’offrent encore l’azur, tes lignes des respirations, tes mots une brûlure,
Mais laissons l’individu et parlons du Un,
De ce un où se confondent deux, trois, mille, les nuées,
Qui est multiplicateur et négateur à la fois, qui renvoie au même point
Mais qui ouvre les horizons plus grandement que les aurores ou les crépuscules,
J’ai vu parfois briller Nous dans les yeux mouillés de la même compassion,
Je l’ai vu dans les biceps en sueur, meurtris sous l’effort de la vie
Pour la sauver, la secourir, la rebâtir, la désencombrer, la désincarcérer,
Je l’ai vu errer, hagard et lucide, sur les champs de batailles, aux chevets des malades,
Dans les cimetières muets et accusateurs.
Nous est partout et pourtant on ne le voit nulle part,
Il est une légende, presque une chimère, invisible et pourtant il existe,
Nous existe,
Dans l’insouciance de l’enfance, dans la peur de la vieillesse mais jamais entre,
Entre il y a l’invulnérabilité désuète, le confort éphémère, la possession désenchanteresse,
Le Je dégoulinant et puant, l’ego antique,
Ô Henry, j’ai si mal à mon être que j’entends pleurer mes cellules,
Tout en moi n’est que ruines, mes temples sont ailleurs,
Loin de ce chaos, trou noir,
Ils abritent tout ensemble mes amours et mes schismes,
Et quelques ébauches d’utopie, d’aquarelles et de poèmes.
Mais laissons l’individu et parlons du Un.
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