Le destrier et l'âneUn palefroi fringant, richement équipé,
Tout fier de ses atours, arborait mine altière.
Sur un chemin étroit, boueux et pleins d'ornières
Il croisa un beau jour un pauvre âne bâté.
- Place ! Rustaud, manant, bourrin de bas étage !
Rugit le glorieux ! Cède-moi le passage !
Poussant Aliboron dans la fange et la boue,
Voici notre cheval se haussant du licou,
Bousculant le baudet, le piétinant sans peine,
Il passe fièrement sans reprendre l'haleine.
A quelque temps de là , son maître toutefois
Suivit un grand seigneur qui se nommait Geoffroi,
Dans son ost, son armée en guerre
Pour quelques arpents de terre.
On y mourut beaucoup, transpercés, étripés,
Pourfendus et navrés de maints grands coups d'épée.
Le cheval y subit grande déconfiture
Le laissant éclopé et perclus de blessures.
Quand tous ces noblaillons hargneux et batailleurs
Eurent tout leur content de morts au champ d'honneur,
Ils se firent la paix, s'embrassèrent au front,
Partirent ripailler, copains comme cochons.
Mais notre ami le cheval,
Lui, se trouvait au plus mal.
Il faillit en crever et ne dut son salut
Qu'à un vieux chat-huant à la tête chenue,
Médecin, guérisseur d'élite,
Qui vivait comme un cénobite
Au coeur de la forêt, au sein d'une hêtraie,
Refusant de quitter son trou pour un palais.
Il était fait de cette étoffe
Dont sont tissés les philosophes.
Le cheval, recousu, les plaies rabibochées,
Regagna, pantelant, son fief et son clocher,
Pendant tout un long mois, claudiquant dans la fange
Couchant dans les fossés ou dans de vieilles granges.
Mais son maître, autrefois si fier du palefroi,
Dédaigna ce cheval qui marchait de guingois !
- Que ferais-je ? dit-il d'une telle monture !
Qu'on l'attelle au chariot qui porte les fumures,
Qu'on l'envoie dans les champs, hors de ma vue surtout.
Il fut un destrier, il n'est plus rien du tout !
Attelé au chariot, croisant dans les fondrières
Le baudet comme lui peinant dans les ornières,
Le cheval, repenti, lui demanda pardon
De l'avoir insulté de méchante façon.
L'âne dit : — Voyez donc, compagnon d'infortune,
Comme tourne et se meut la roue de la fortune !
Parfois elle vous hisse, puis elle vous abat.
Le destin est ainsi, un jour haut, l'autre bas.
Point de vaine fierté pour un sort éphémère,
Tous les honneurs du jour ne sont que des chimères.
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Avec mes amitiés
Alain
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""A la cour, mon cher fils, l'art le plus nécessaire
N'est pas de bien parler, mais de savoir se taire !""
(Voltaire)