Une plume. Elle descend, en douceur, vers le sol. Elle fait maints détours, remonte, redescend au grés du vent. Mais par delà les caprices, il y a le souffle. Le souffle de l’homme.
Cet homme qui souffle sur sa plume, contredisant le vent. Il tient sa main sous la plume comme pour de l’empêcher de tomber. Il tient à sa plume ; elle n’est que le prolongement de sa main.
Et il souffle, tantôt en haut, elle se tend vers le sol qui l’accueille, tantôt en bas, elle enjambe son souffle et remonte, tantôt à gauche, un simple écart de conduite, tantôt à droite, un jeu de slaloms.
Et le vent qui souffle, de plus en plus fort, avec frénésie. Le vent furieux, la plume n’y résistera pas. Elle perd des perles d’elle, de très courts fils blancs et duveteux, si doux, si doux…
L’homme, lui, sourit, un sourire joyeux : il joue. Il joue avec les caprices du vent, il est dans son élément. Et sa main tremble, comme si elle venait d’être légèrement écorchée, comme si elle ressentait la fatigue d’un jeu qui n’en finit pas. Cette main, si fine, et ses longs doigts, solides et habiles. Ces longs doigts habitués à cette plume. L’habitude tue l’homme comme l’homme tue le temps. Cet homme qui regarde la plume dépérir, lentement, comme vivante.
La plume qui plie sous le vent, la main qui n’y résiste plus si bien. Et déjà , les fils s’allongent, plus grands, presque plus forts ; toujours si duveteux, tels ceux d’un oisillon, si beau, si innocent, si pur…
La plume qui se brise sous les assauts du vent. Elle qui, auparavant si belle et si pure, n’est plus que l’ombre de celui qui la tient. Elle qui était son bras et son talent. Elle qui existait ; même si elle n’existait que par et pour celui qui la tient. Elle était une partie de l’homme.
L’homme qui se détruit peu à peu, l’homme qui y prend plaisir. L’homme inconscient ou plutôt terriblement conscient de se détruire ; jeu de destruction.
Et la plume, reflet de celui qui la tient toujours. Cette plume qui devient le reflet de celui qui la brise. Elle maintenant si grise et si dure. Elle perd toujours ses fils, mais avec indifférence, avec détachement.
Déjà sa pointe n’est plus si belle, si nette. L’encrier ne la recevra plus, elle ne crissera plus sur le papier. Elle n’y laisserait plus que des traînées hachées, irrégulières et trop épaisses. Elle ne servirait plus qu’à gâcher un talent déjà amputé de sa plus belle partie, l’élément central. Elle n’a plus, ni elle ni celui qui la tient encore, la candeur et l’innocence qui lui était propre.
Et enfin l’homme a finit de se détruire, il a lâché la plume ou plutôt ses nombreux éclats. Elle repose sur sol qui l’a accueilli si volontiers. De petits fils éparpillés, de plus en plus longs et forts, en cercle autour de sa pointe ; imitation pathétique d’une union entre la terre et les hommes.
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Daph, oubliée dans les bas-fond d'Oasis.