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     chroniques d'un immigré clandestin dans son pays
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Expéditeur Conversation
vent2sud
Envoyé le :  22/2/2010 1:54
Plume de soie
Inscrit le: 10/8/2007
De: marrakech
Envois: 93
chroniques d'un immigré clandestin dans son pays
L'été n'a qu'une seule couleur ici. Là-bas d'où je viens, la lumière vous éblouit avec mille de ses avatars. Le soleil est plus souriant. L'ombre est plus grand, plus élancé. C'était le temps de l'innocence, des petites joies, les meilleures. Alors, pourquoi ai-je quitté mon pays ? Pourquoi ai-je échangé la face paisible et matinale de ma mère au teint joyeusement mat contre cette vieille dame aux géants bigoudis pétroliers dont le mascara sophistiqué ressemble à un barbouillage de fuel et d'huile, un graffiti primitif avec des matériaux de pointe? Suis-je donc matérialiste ? Ambitieux ? Ou tout simplement déçu ?
Durant toute mon existence au Maroc, précisément à Marrakech, j'ai eu l'impression de survivre. Un oiseau migrateur sur des fils électriques. Mais rêvant de voyager et d'avoir un nid confortable et douillet. Seul ou dans un essaim ? N'importe, l'essentiel c'est que je quitte la géographie natale de ma pauvreté. Partir. Mon séjour dans mon pays était conditionné par la précarité. Marocain mais uniquement de naissance. Je voulais vivre ailleurs et même m'habiller d'un autre corps. Mais, Je n'avais pas d'autres options que de rester. Le séjour dans mon pays natal était tout simplement forcé par la fatalité des circonstances. Mon voyage pour l'eldorado européen était, par contre, un fruit amer de procrastination involontaire jusqu'au jour où le voyage ascensionnel si espérée se réaliserait enfin.
J'étais à court d'argent mais je guettais sans cesse l'opportunité idéale pour partir et recommencer ma vie. J'enviais les touristes pour leurs sourires éclatants, leur opulence harmonieuse, leurs yeux bleus qui reflètent le bonheur lisse et même pour leurs poils de carotte et leurs taches de vin. Ils ont toujours quelque chose par-devers eux, un sac à dos, un sac à main, une sacoche, une petite valise tandis que moi je n'ai que le vide de mes déceptions et la vapeur de mes espérances. Ils portent de belles choses. De belles choses ordinaires que ma paranoïa a fait passer pour un appât de convoitise. Ils sont si snobs ces touristes avec leurs gadgets électroniques, leurs habits de haute couture, leurs apparence assurée et leur grand air. Ils se croient les maîtres du monde. Ils se croient tout permis. Que nous sommes des êtres inférieurs et qu'ils peuvent se servir infiniment de nos corps et nos sentiments.
Avec de l'argent, on ne peut pas acheter rien que des tas de merveilleuses choses mais aussi des êtres humains, des organes, des sensations, des orgasmes. Ainsi, j'ai vu des humains vendre leurs corps à d'autres plus riches, des hommes se réduire en pénis ou engin vibrateur de plaisir, des filles en minuscule vagin. Moralité : l'argent valorise les uns et avilit les autres. Pour les riches, il est un moyen; pour les pauvres, il s'agit d'une sacrée finalité que, malheureusement, après que l'on eut atteinte, on se rend compte qu'on a tout perdu. Grâce au pognon, les nantis trouvent toujours un prétexte matériel pour soumettre les pauvres qui, quant à eux, trouvent également une consolation pécuniaire pour leur servir. Façon de corrompre leurs âmes et étouffer les cris, au fond d'eux, revendiquant la liberté et la dignité.
La fortune est ce coup magique du pinceau qui nuance les castes. Je sais que cette classification ségrégative fut abolie en 1947 uniquement comme système, sur papier. Cependant, l'esprit discriminatoire règne toujours avec son principe injuste d'évaluation sociale, certes sous-jacent mais combien omniprésent. Pour l'anéantir définitivement, il faudrait réinstaurer l'échelle des valeurs sur des bases utopiques tout en observant minutieusement équité et égalité. Ce qui est, bien sûr, impossible vu la prétentieuse imperfection humaine.
Dans notre quartier, il y'avait quelques étrangers qui savaient bien la portée de ce constat. Ils savaient aussi qu'ils pouvaient troquer leur fortune pour une jouvence momentanée aux bras d'une pucelle et que les guichets automatiques sont des machines à remonter le temps. Il n'y a pas que le lifting qui cicatrise les plaies des années. Le billet, tel un miracle, fait disparaître les rides, les cellulites et toute autre difformité naturelle aux yeux des autres. Pour cela, la vieille Amanda à la peau tortillée avait pour amant un charmant adonis. L'étalon du quartier n'arrêtait pas de courir le jupon en cherchant de rassurer des octogénaires désespérées qui, en contrepartie, assuraient son avenir.
En voyant cette comédie, je disais que l'argent est un vrai élixir de beauté inaltérable, une cure efficace de rajeunissement. Des rumeurs circulaient qu'Eduardo, un espagnol dans les trentaines, avait le SIDA. Mais son amant s'en contrebalance. Il disait que cette maladie n'existe pas. Qu'elle est juste un stratagème américain pour répandre la panique et les crises d'impuissance. Pour lui et bien d'autres, ce n'est qu'une ruse pour contrecarrer l'explosion démographique de notre peuple fécond.
Dans ma vie, j'ai assisté à des diagnostics beaucoup plus abracadabrants. Un jour, un vieillard m'a confirmé que la carie dentaire provient d'un ver minuscule qui creuse l'émail des dents et mord la gencive. Ce qui provoque, respectivement, rage et saignement.
Contrairement aux idées reçues, la plupart des homosexuels là-bas n'ont pas honte de leur tendance sexuelle. Ils sortent en groupe. Ils portent des habits provocateurs. Parfois, des accoutrements qui révèlent implicitement leur identité sexuelle. Une sorte de code vestimentaire pour faciliter la reconnaissance physique et le contact. Eduardo, chauve et trapu, avait un faible pour les hommes poilus. Grâce à son argent, son alopécie parvenait à dompter les cheveux qu'il chevauchait. Dans un pays où la pilosité est signe de virilité, la moustache est arborée telle une fierté génitale, Eduardo a trouvé son bonheur au milieu de cette forêt de chevelure dense et sèche. Ce tapis monochrome le fascinait au point de tresser ses fibres aiguisées et soigneusement pointues par des caresses et des câlins. Je le détestais car il ne voyait que ça dans ma ville. Des poils et des phallus. Pas de jardins ou de tours. Une vision unilatéralement disproportionnée. C'est un peu comme avoir le chapeau étroit et le falzar large.
A l'ancienne médina, on croisait continuellement des touristes de toutes les nationalités. Plusieurs jeunes préféraient rester passivement à leurs basques et les guider dans les sentiers de la ville que de tenter de changer activement leurs vies et orienter leurs propres ambitions dans le temps. Mais, je détestais par-dessus tout les gens qui leur mendiaient de la petite monnaie ou de la compagnie. Ceux qui se montraient aussi serviles que perfides. Ceux qui choisissent volontiers de changer leurs principes et leurs peaux pour plaire à un autre. Un touriste affolé qui a une meute d'énergumènes sur le dos est un spectacle ordinaire aux sentiers historiques de la glorieuse ancienne médina.
Je n'ai jamais su que je portais une haine inavouée envers ces gens-là jusqu'au jour où j'ai vu un vieux touriste anglais qui s'est ramassé un de ces gadins, qui sont loin d'être un coup de bluff d'un acrobate, en traversant une ruelle de l'ancienne médina. J'ai ri comme un fou enragé au point que le pauvre homme s'est mis à m'observer plutôt que d'examiner son état. Je ricanais et je ne savais pas pourquoi. Après un certain temps, il me toisa si amèrement que j'eus soudainement honte de moi-même. En vérité, j'avais admiré sa chute. Je trouvais du plaisir incontrôlable à le regarder perdre balance et s'écrouler sur terre. Une simple chute. C'était assez suffisant pour bafouer les modèles importés de perfectionnistes invincibles, de stars hollywoodiens et des clichés de grandeur qu'on nous a inculqués sur ces étrangers au talent prodigieux.
Quand on était encore petit et crédule, on nous disait qu'un chinois peut fabriquer un poste de radio rien qu'avec une boite de sardine. Qu'un américain a la possibilité de métamorphoser une voiture en vaisseau spatiale. Que ces gens-là ont trop étudié, ont conquis l'espace grâce à leur intelligence supérieure et sont en train de bâtir d'autres villes secrètes sur la lune. Que le jour viendra où l'on sera les seuls à peupler la terre quand un essai nucléaire apocalyptique aura balayé toute la planète ne laissant que d'ignobles cafards, scorpions et des pleutres survivants mâchant l'herbe et roulant leurs yeux effrayés.
Quand j'ai entendu cela pour la première fois, je l'ai gobé tout de suite. Alors, j'ai eu la brillante idée de me réserver une place à bord du vaisseau spatial magique. Mais comment ? C'est simple ! Ai-je pensé à l'époque, il suffit que je me teigne en blond et ça ira ! Je ne savais pas encore qu'il faut apprendre une langue, un savoir-faire, des gestes et que même si je réussirais à maîtriser tout cela, mes gènes arabes me trahiront sans doute.
En grandissant, je m'apercevais peu à peu de ces grands mensonges et des faux concepts que j'ai avalés à coup d'étrivière, bien qu'il existe encore des adultes chez nous qui croient à cette mythologie moderne. Cependant, j'étais déterminé à tout faire pour que j'aie ma place au sein de cette société coûte que coûte. Oui, j'ai grandi mais l'image puérile du vaisseau spatial me hantait encore. En effet, chacun de nous, aussi vieux qu'il soit, a dans la tête un cerf-volant qu'il avait, enfant, dirigé dans le ciel de bonheur et qu'il fera toujours planer jusqu'au dernier de ses jours.
Moi, je rêvais d'emprunter les voies célestes qui menaient à l'Europe. Un monde nouveau. Des villes secrètes où la liberté en est l'emblème. Rien qu'y penser, me donnait des ailes. Me faisait oublier ma misère et me rappelait l'image d'un vaisseau spatial nageant paisiblement sur les dunes blanches de la voie lactée.


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le vent est l'expression sublime de la nature qui nous rappelle que le mot peut etre aussi transparent que volatile, libre et lancinant..à mon avis,un poème authentiquement écrit est une brise qui caresse les émotions tout en étant susceptible de s'exp...

monesille
Envoyé le :  22/2/2010 11:24
Plume de platine
Inscrit le: 12/11/2009
De: Est-ce vraiment si important ?
Envois: 7087
Re: chroniques d'un immigré clandestin dans son pays
Un texte passionnant, très bien écrit, très justement écrit, qui m'a profondément touché.


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Cultivez votre amour de la nature, car c'est la seule façon de mieux comprendre l'art! (Vincent Van Gogh)

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