Plume de soie   Inscrit le: 21/10/2005 De: Envois: 161 |
Le passé
Il poussa la porte du jardin et alors, commença pour lui un véritable cauchemar. On peut rêver aux petits oiseaux ou se mettre dans la peau d'un héros de bandes dessinées mais, se retrouver au centre de l'imagination débordante d'un autre, c'était plus qu'il ne pouvait en supporter.
Faire marche arrière fut sa première pensée, cependant, dans ce monde, tout allait de l'avant. Nul ne pouvait regarder le passé même proche. Le passé, c'était fini, classé, on en parlait plus et, comme il avait passé le pas de ce portail, celui-ci s'était refermé de lui-même, sur son passé.
Bien sûr, il s'était retourné. On avait le droit de le faire, dans ce monde, une fois, voir si son passé avait été intéressant. Il s'était donc retourné et au-delà du portail, il n'y avait rien, le néant, pas même une brume cachant de douteux souvenirs. C'était ce rien avec un grand "R". Puis le portail lui-même disparut !
Lui avait-on dit de ne pas pénétrer dans ce jardin des sortilèges ? Il n'en savait rien, n'ayant plus de souvenirs ! Alors, puisqu'il ne pouvait plus reculer, il avança. Il pénétra des paysages qui s'estompaient au fur et à mesure de son avance. Seule une sourde angoisse le poussait de l'avant, comme s'il avait peur de se faire rattraper par cette inexistence du vécu.
Tout à coup, son cœur battit très fort, il aperçut une maison. Il hâta le pas et lorsqu'il y fut arrivé, il en poussa l'huis et entra. A l'intérieur, juste en face de la porte, il y avait un homme assis devant une cheminée. Il restait là immobile, les mains tendues vers les flammes. Paul avança au centre de la pièce unique et machinalement, tourna sur lui-même. Il faillit crier de joie. Il avait réussi à se retourner. Le cauchemar était terminé. Mais, à ce moment, un grand souffle de vent s'enroula autour de la maison, des pierres roulèrent sur le toit et Paul, soudainement encore plus effrayé, tourna de plus en plus vite. Il tomba sur le sol et alors, tout s'arrêta. L'homme se leva de sa chaise et fit face à son nouveau compagnon en lui disant d'une voix étrange :
- Pourquoi t'es-tu retourné sur ton passé ? N'as-tu pas vu la porte, en face de toi ? Il fallait l'ouvrir, continuer ta route jusqu'à ce que ton passé ne soit plus un fardeau et que tu puisses te retourner pour le regarder en face. Maintenant, c'est le vide autour de toi, il n'y a plus rien, rien que l'absence de tout. Si tu n'as pas d'avenir, que te reste-t-il ? Les souvenirs ne sont rien si tu n'as personne à qui les raconter.
Paul baissa les yeux. Quand il les releva, l'homme se tenait toujours devant lui, immobile comme une statue. Paul frissonna : Cet homme était sa réplique trait pour trait. Il cria en prenant une chaise et en la fracassant sur son ego qui s'éparpilla en mille tessons, tel un vase brisé.
Personne ne l'avait entendu crier car il vivait seul, retranché dans de mauvais souvenirs. Il se leva précipitamment de son lit et ouvrit la porte de sa cabane. Une belle aurore caressait le flanc des collines. Il regarda son logis et eut une moue de dégoût. Alors, il leva les bras au ciel et hurla très fort :
- Je veux vivre !
En grignotant un succinct petit-déjeuner, il regarda son taudis partir en fumée. Il n'entendit pas ses voisins les plus proches venir aux nouvelles armés de seaux d'eau. Quand il s'aperçut de leur présence, il leur dit simplement :
- Il était temps, ça faisait désordre dans le paysage.
L'homme et la femme le regardèrent étonnés, virent qu'il souriait. Ils ne l'avaient jamais vu sourire. Alors l'homme lui lança :
- Belle journée pour un feu de joie !
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