Onze années passerent ….

Un soir de fin d´été 1857, Félicité mon épouse et moi-même avions eu par un dimanche la visite d´un de nos vieux amis, Maurice . Ce dernier, toujours curieux de tout, nous demanda si nous avions été informés du proces
-Quel proces ? Avais-je répondu . Savez-vous bien, mon ami, que je n´ai plus depuis longtemps l´esprit aux lectures des derniers faits .
Maurice parut consterné
-Nous le savons tous mon bon Fernand mais.... tout de même cela fait onze ans á présent, ce deuil est-il donc si difficile á porter ?
Ce deuil …. le lecteur aura bien lu car ma soeur, mon amie
d´enfance, Angeline avait rendu l´âme apres sa discussion avec nos parents au sujet de ses vers écrits;
la pauvre petite, rongée par le chagrin et le désespoir, avait préféré se donner la mort plutôt que de vivre une
destinée qui lui était insupportable . Les autorités nous avertirent que son corps avait été retrouvé dans la Seine quelques jours apres sa disparition , ma mere fut totalement dévastée, durant plusieurs jours elle ne cessa de répéter „ Ma pauvre petite fille ! Ma pauvre petite
fille !“
Mon pere, quant á lui, éprouvait de profonds remords
-Si nous n´avions pas brûlé ses écrits, Angeline serait encore en vie
De mon côté la disparition de ma soeur m´avait anéanti, je songeais sans cesse á elle, disant á qui voulait bien
m´entendre :
-C´est fini, nous n´entendrons plus sa jolie voix nous parler des parfums qu´elle aimait. Nous ne l´entendrons plus chanter á notre piano et quant á ce jeune homme aux cheveux noirs dont elle avait tant rêvé il ne saura jamais
qu´elle était amoureuse de lui .
Mon entourage faisait l´impossible pour me consoler, mes parents décéderent á leur tour quelques années plus tard
De ma soeur il ne me restait que des souvenirs, ah comme
j´aurais aimé relire ne serait-ce qu´un seul de ces vers !
La voix de mon ami me fit soudain sortir de mes pensées
-Hélas Angeline est morte et nous la pleurons tous mais pour ce qui est de son écriture, qui sait si elle n´aurait pas été plus tard inquiétée si elle était restée parmi
nous ? La censure est si facile de nos jours !
Mais non, ma soeur ne voulait point que ses écrits soient connus du grand public, tout ce qu´elle souhaitait était de pouvoir un jour les donner ou bien les envoyer á son cher inconnu, je reste convaincu qu´elle a passé les dernieres heures de sa vie á le chercher alors n´est-ce pas également pour cet homme qu´elle avait choisi d´en finir ? Nous ne le saurons sans doute jamais . Cet inconnu ne pouvait être qu´un poete car Angeline ne vivait que pour la Poesie, elle se grisait de vers comme d´autres de vins forts.
Repose en paix ma petite soeur, jamais nous te t´oublierons !