Quelques minutes se passerent pendant lesquelles notre pere passa en revue maints écrits de ma jeune soeur tel un juge impassible et sévere .

-Ici, que vois-je ? "Et l´heure défilait en sa morne fragance" : je serai curieux de savoir en quoi une heure peut être liée á une senteur .

Notre mere poursuivit
-Je me le demande en effet aussi, de même que.... (elle chercha un court instant parmi la liasse de pages) lá ! "L´étoile diffusait ses harpes auriferes" : Quelle étrangeté, mais quelle étrangeté ! Elle se décida des lors á user du vouvoiement et avoua d´une voix peu sûre
-Voyez-vous, Angeline, votre pere et moi commencons á nous demander si vous ne seriez pas malade, Fernand lui aussi sans doute

Ma soeur se mit á sangloter
-Si chacun souffrait de la même maladie que moi alors nous n´aurions plus de tourments á nous faire au sujet de l´avenir de ce monde ! Je vous l´assure, brûleriez-vous mes vers que je mourrais sur-le-champ !
Notre pere haussa les épaules
-Je vous en prie, épargnez-nous vos paroles insensées ! A vous entendre nous serions ni plus ni moins que des bourreaux
A ces mots, Angeline claqua la porte du salon et sortit de la maison . Sa rapidité de geste ne surprit moins nos parents car elle agissait toujours ainsi des qu´une contrariété la prenait.

-Bon la voilá partie ! soupira notre mere mais que faire, mon bon ami, que faire ?

Son époux la tranquilisa
-Ne vous tourmentez point ! Une fois calmée elle aura retrouvé ses esprits et nous reviendra dans un état meilleur .
-Croyez-vous cependant que ....
-Qu´elle soit allée en quête de ce garcon dont elle nous parle tant ? Cela ne me surprendrait nullement de sa part mais pourtant non, je ne pense pas . Elle ne connaît ni son nom ni son adresse et d´ailleurs qui nous dit qu´il est vraiment d´ici ? Sans doute est-ce un homme
qu´elle ne reverra jamais plus de sa vie ! Oublions cette fantaisie une bonne fois pour toutes et employons-nous plutôt á brûler ces poemes insensés .

Cependant les heures s´écoulerent et ma soeur ne revint pas, mon épouse et moi ne la vîmes point non plus . La nuit se profila sans que l´on ait de ses nouvelles, notre inquiétude commencait á poindre : même au plus vif de ses peines, jamais Angeline n´avait déserté le foyer plus de quelques minutes puis oú pouvait-elle demeurer sans gîte et sans couvert ?