Le lendemain matin. Je me levai Ă 8h.
-T’es déjà debout ? Tu t’es couchée tard pourtant hier soir. T’as réussi à dormir ?
-Oui, un peu…
Mon père parut rassuré. Je lui cachai qu’un peu, cela signifiait une heure. Dès que je fermais les yeux, je revoyais ce corps. Et je réentendais le compte-rendu d’un policier à la jeune femme, commissaire Rodin me semblait-il.
-On a trouvé des papiers sur lui. Il s’appelait Jérémie Vallade. 22 ans, adresse dans la cité universitaire des Verdures. Etudiant en droit apparemment. Un peu d’argent, des clés, une carte de bus.
-Donc, on ne voulait pas le voler.
L’agent avait alors baissé le ton, mais j’avais entendu distinctement ce qu’il disait.
-On s’est acharné sur lui. Il a été frappé, et ils y sont pas allés de main morte, selon les pompiers.
-Ils ?
-Ouaip. Ils étaient sans doute plusieurs. Vous avez vu, c’était pas un gamin. Grand, et plutôt baraqué. Je pense pas qu’il se serait laissé faire.
-Et il est mort de… ?
-Poignardé. Ils voulaient pas lui laisser de chance. Deux coups, un dans le bas-ventre, un autre dans le cœur. Mort sur le coup. C’est moche.
-Comme vous dites…
Et quand ce n’était pas son nom qui me courait dans la tête, c’était son visage. Et ses yeux. Il devait être beau garçon. Peut-être qu’il avait une petite copine.
Ma mère vit mon trouble. Je sentais qu’elle s’inquiétait pour moi, mais qu’elle ne savait pas quoi faire.
-Si tu as besoin de parler…je suis là .
Je lui adressai un petit sourire.
-Non, ça va…Après tout, je le connaissais pas, ce mec. C’est horrible, ce qui lui est arrivé, mais bon. Vaut mieux que ça lui arrive à lui qu’à moi.
Ceci sembla rassurer ma mère. Mais je savais qu’elle resterait méfiante. Le journal traînait sur la table. Je le pris, machinalement, et m’assis devant mon café au lait. Je surpris une lueur d’inquiétude dans les yeux de ma mère.
-T’inquiète, je veux juste le regarder, comme ça.
Mais difficile de passer à côté de l’événement du jour. En première page s’étalait le gros titre :
UNE SOIREE MACABRE
-Putain, ils se sont pas foulés…
Je parcourus l’article. Comme dirait Maxence, « ouahhhhhh ! Il a son nom sur la Montagne ! T’es une vedette ! ».
« Ils ne s’attendaient sûrement pas à ça. Hier soir, vers 22h30, quatre jeunes lycéens rentrent du cinéma. Mais, au détour de la rue Claude Michelet, ils découvrent avec horreur (« C’est le cas de le dire », marmonnai-je) le corps de Jérémie Vallade, 22 ans. Ce jeune étudiant en droit a été sauvagement battu et poignardé. Selon les premières constatations de la police… »
Je refermai le journal, pensive. J’avais un mauvais pressentiment. Il avait été poignardé en plein cœur, en pleine nuit, dans une rue sombre, en plein dans ce que l’on avait l’habitude d’appeler « le coin des gothiques ». Une petite rue commerçante en journée, mais qui dès 20h devenait un lieu de rendez-vous pour les hommes et les femmes en noir.
Ca faisait beaucoup d’éléments à charge pour Ugly et sa bande. D’autant plus que la police les tenait à l’œil. Soi-disant qu’il y aurait eu des histoires de drogue (mais comme le disait le principal intéressé : « On est pas plus drogués que les autres ». Et pour une fois j’étais bien d’accord.). Mais je pensais plutôt que c’était leur apparence qui dérangeait.
Il est vrai que rencontrer Ugly de nuit dans une rue sombre avait de quoi vous coller une crise cardiaque. Pour l’état civil, il était Romain Tavert, 20 ans, cancre de son état. La preuve : il avait vu ses amis de deux ans de moins que lui le rejoindre en Terminale, puis avoir leur bac, pendant que lui restait en Terminale pour la troisième année de suite. A vrai dire, il était plus connu comme gothique et sataniste convaincu (ou du moins le faisait-il croire) que comme petit génie des lettres. Cheveux noir corbeau qui ne laissaient entrevoir que le nez et deviner la pupille des yeux, des yeux soulignés d’un trait de khôl à faire rougir les plus belles femmes du monde, un long manteau noir, un long pantalon noir, des bottines noires. « Man in black », comme l’appelait Charline. La rumeur disait qu’en dessous de ses habits noirs, il portait des slips et des chaussettes roses. Mais personne n’avait encore été vérifier.
Toujours était-il que je sentais que ça allait sentir le roussi chez les gothiques.
Histoire de me changer les idées, je décidai de me mettre à mes devoirs. J’avais une dissertation de philo à faire pour dans deux semaines. En temps normal, j’aurais attendu le dernier moment. Mais là , le j’espérais que le travail m’aiderait à prendre mes distances. Je pressentais que cette histoire allait vite nous dépasser. Je me penchai sur mon sujet en soupirant.
-A table ! s’écria ma mère.
Je relevai la tête. Déjà midi au réveil ! J’avais passé près de quatre heures à travailler. Ma dissertation était presque finie. Une bonne chose de faite.
L’après-midi, je décidai de faire une pause.
-OĂą tu vas ?
-Chez Charline et Marine. Je reviens vers cinq heures.
-Sois…
-…prudente. Je serai prudente, maman. T’inquiète.
Je l’embrassai rapidement, lui promettant de faire attention.
Sur la route, je me replongeai rapidement dans un abyme de perplexité. Un meurtre dans une petite ville comme la nôtre, ça faisait désordre. Et surtout, ça attirait l’attention. J’étais déjà sûre que la presse cherchait l’identité des « quatre jeunes lycéens ». Pourvu que la commissaire soit assez intelligente pour ne rien dire. J’avais pas particulièrement envie d’être sous les feux de la rampe.
Arrivée chez les jumelles, c’est Mme Baumoin qui vint m’ouvrir. Dès qu’elle me vit, elle m’adressa un grand sourire.
-Emilie ! Comment vas-tu ?
-Ca va très bien ! Enfin, ça va bien. Ca va…
-C’est exactement ce que me disent les jumelles. Elles me soutiennent que tout va bien, mais je vois que cette…cette histoire les perturbe. Il y a de quoi, d’ailleurs. Charline en a même oublié de me dire que j’étais psychorigide, rajouta-t-elle avec un petit sourire. Tu veux les voir ? Elles sont en haut, Maxence est là . On dirait que vous vous êtes donnés le mot !
-C’est la magie des portables, maman… Salut Emilie !
Marine venait de descendre.
-Il reste pas une bouteille de Coca quelque part ? Ah si. Tiens, tu peux m’aider à porter les verres s’il te plait ?
-Pas de problème.
En haut, Maxence et Charline Ă©taient en grande discussion.
-Emilie ! Ma chère sœur s’est encore servie de toi ? Quelle faignante !
J’éclatai de rire devant son air outré. Mais très vite, l’ambiance devint plus sérieuse. Nous étions tous un peu effrayés par l’affaire.
-On s’est vraiment foutu dans un beau merdier. Combien j’te parie qu’en ce moment, les policiers sont en train de réfléchir à notre culpabilité ?
-Mais non ! Comment on pourrait l’avoir tué ? Et pourquoi ? On était au ciné, et on connaissait même pas ce mec…
J’exposai alors ma thèse sur les gothiques.
-…mais je ne pense pas que Ugly ait quelque chose à voir là -dedans , conclus-je.
Tous étaient d’accord avec moi. Mais Marine avait une autre opinion.
-Ugly est coupable, murmura-t-elle.
Maxence et moi restèrent bouche bée. Charline poussa un soupir. Selon elle, Marine était devenue folle.
-Elle est convaincue que Ugly peut avoir fait ça…Déconne pas, Marine. Je sais que Ugly est effrayant, que tu peux pas le piffrer, qu’il peut être un véritable salaud, mais de là à l’accuser d’un meurtre…
Marine restait lĂ , les yeux dans le vide.
-On ne sait pas, intervins-je. Peut-être qu’Ugly est coupable, peut-être qu’il ne l’est pas. C’est à la police de faire son boulot. Tout ce qu’on sait, c’est que nous on n’est pas coupables. Au fait, vous avez des nouvelles de Pauline ?
-Oui, elle m’a téléphoné. Ses parents ne se sont aperçus de rien. Mais elle s’inquiète pour nous.
-Tsss. Elle a pas à s’inquiéter. On se démerde bien, non ?
Un silence de mort répondit.
On passa le reste de l’après-midi à discuter de tout et de rien, puis comme je l’avais promis à ma mère, je revins chez moi avant 17 h. Puis je passai le reste de la soirée à faire passer le temps…
A suivre... (je sais, j'ai mis du temps, mais mon emploi du temps est un peu "serré" en ce moment...soyez patients,et je tenterai de ne pas vous decevoir!)
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La nostalgie colore les souvenirs avec des crayons de couleur...