L’horloge du square située juste en face de moi indiquait dix-sept heures. Elle ne tardera plus, pensais-je. Protégé par une haie de buissons, je regardais fixement l’entrée du parc. Deux enfants jouaient au ballon à quelques mètres de mon repaire et ne m’avaient pas aperçu jusqu’à présent. Le soleil était encore assez intense en cette belle journée d’été et j’espérais qu’elle ne serait pas découragée. Après tout, cela n’était pas dans ses habitudes d’être en retard. Et puis, je devais absolument la voir. C’était vital. Elle devrait bien me porter attention un jour ou l’autre, pensais-je. C’est alors que je lui dévoilerai mes sentiments…
Soudain, la frêle silhouette d’une jeune fille apparut sur le chemin. Une jolie robe de soie bleue lui donnait un air enjoué et rieur. Elle était accompagnée d’un boxer puissant et nerveux. D’ailleurs, je ne comprenais pas qu’elle puisse donner tant d’amour à un chien si laid alors qu’elle ne m’avait jamais prêté la moindre attention. Arrivée dans le virage, juste à côté du bosquet de platanes, elle croisa la route d’un vieil homme.
- Bonjour, Monsieur Paul ; dit-elle joyeusement.
- Bonjour ma petite ; répondit-il d’une voix suave.
- Belle journée, n’est-ce pas ?
Et la discussion ainsi entamée s’en allait bon train. Comment pouvait-elle s’intéresser à ce malotru ? Si seulement j’avais le courage de me redresser et de me dévoiler, je lui montrerais de quoi je suis capable. Mais j’étais certainement trop lâche ! Jamais je ne pourrais…
La promenade de la demoiselle se poursuivit et elle se présenta à ma hauteur. Allait-elle me découvrir enfin ? Ma cachette n’était pourtant pas un camp retranché et je pourrais vite être repéré. A quelques mètres de moi, elle tourna la tête dans ma direction et me fixa un instant tristement, le regard empli de compassion. Ses yeux d’un bleu cristallin me faisaient fondre et j’avais l’impression que mon corps ne faisait qu’un avec le sol. J’étais à la fois tétanisé et terrorisé à l’idée qu’elle puisse m’adresser la parole, ce qu’elle ne fit malheureusement pas. J’aurais voulu que cet instant dure une éternité ! J’aurais donné tout ce que je possède pour quelques secondes de plus.
Un oiseau se posa sur mon épaule puis s’en alla sautiller sur le chemin ; s’attirant la foudre du boxer et l’attention de ma dulcinée.
- Sultan ! Au pied ! cria-t-elle.
Le chien dépité par l’envol de l’oiseau et les reproches de sa maîtresse revint nonchalamment vers elle. J’avais été trahi par de simples animaux ! Mon désappointement était total et lorsque je repris mes esprits, j’entrevis sa silhouette à la sortie du parc. Elle m’avait une fois de plus échappé et j’en voulais à la terre entière. La nuit tombait et je ne pouvais fermer les yeux. Son image me hantait et je me promis d’être plus entreprenant la fois prochaine.
Le lendemain, à la même heure, elle fit son entrée mais elle n’était pas accompagnée de son chien. Une chance pour moi ! Ses vêtements légers l’enveloppaient comme la rosée sur une feuille d’érable. Alors qu’elle s’approchait lentement de mon antre, j’aperçus un enfant d’une dizaine d’années poursuivit par deux adolescents. Arrivé à ma hauteur, le petit trébucha et s’effondra. Les deux autres se jetèrent sur lui et commencèrent à le rouer de coups. Je restais interdit, observant la scène d’un oeil et détaillant la réaction de mon amour inavoué. Elle se mit à courir dans la direction de l’enfant qui hurlait à présent de douleur. Le plus grand des deux agresseurs enserrait le cou du gamin et le secouait comme un prunier. Je ne savais que faire. La jeune fille décocha un coup de poing à l’un des garçons puis s’attaqua au second avec une telle rage qu’elle les mit rapidement en déroute. L’enfant était en sang. Elle le prit dans ses bras, se fraya un passage au travers des buissons puis le déposa à mes pieds sans m’adresser la parole. Comme il était chanceux d’être passé dans ses bras, pensais-je. Elle posa sa main sur mon épaule afin de conserver son équilibre et sortit un mouchoir de sa poche avec lequel elle essuya le front du gamin. Quel instant de bonheur pour moi ! Elle m’avait non seulement découvert mais elle me touchait à présent. Je tentais de prononcer quelques paroles afin de m’excuser de mon attitude désinvolte mais je restais sans voix. Quelques instants plus tard, deux autres personnes attirées par le bruit s’approchèrent et aidèrent la jeune fille à soigner la victime. Puis ils repartirent tous les quatre sans même me saluer, me laissant à mon désarroi.
J’éprouvais à la fois un sentiment de joie et de tristesse. J’étais heureux qu’elle m’ait enfin découvert mais triste qu’elle n’ait pas prolongé l’instant. Mais après tout, j’attendrais le jour suivant pour la voir à nouveau passer le portail du parc.
Et c’est ainsi que pensait la statue du parc municipal, par un beau jour d’été.
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Valli
