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Récit de voyage (Les geôles nautiques)
Récit de voyage (Les geôles nautiques)
Le Cap, l'arrestation provoquée Les anciens racontaient une histoire si incroyable sur les prisons de la ville du Cap, en Afrique du Sud, que je décidais de m'en rendre compte par moi-même. Profitant d'une traversée France / Le Golfe, où nous avions toutes les chances de faire une courte escale de mazoutage*, je mis mon projet à exécution. Il fallait pour cela faire une petite infraction, juste ce qu'il fallait pour passer la nuit au commissariat, et ce que je découvris dépassait tout ce que l'on avait pu me dire sur le sujet. Me faire embarquer par la police ne fut pas trop compliqué, je jouais le marin ivre mort, qui marchais en zigzaguant dans les rues de la ville. Un véhicule de patrouille me prit en surveillance et me suivit discrètement, ïï fallait les "agacer", pour que l'arrestation ne fasse aucun doute dans leur esprit. Je trouvais rapidement la solution en faisant mine de me "soulager" devant un mur. S'en était trop pour eux, le délit à leurs yeux était flagrant, ivresse sur la voie publique, uriner en pleine rue, je fus appréhendé sur le champ et emmené au poste sans ménagement. Avoir toujours l'air "bourré" a été le plus dur pour moi, car je craignais qu'ils ne découvrent que je n'étais pas plus ivre qu'eux, ce qui aurait cassé mon plan. Trop content de leur prise, et après un rapide interrogatoire de routine (je ne parlais pas un mot d'anglais, et ces messieurs pas du tout ma langue) ils me jetèrent dans une de ces fameuses geôles dont tout le monde parlait, sans connaître vraiment le fin fond de l'histoire. Je me trouvais donc en première ligne pour découvrir ce qui m'attendait. Ma cellule était toute petite, environ deux mètres sur deux, et guère plus haute, mais ce qui surprenait "l'invité", c'est que les cloisons étaient métalliques et la porte qui se refermait sur moi était d'une épaisseur peu habituelle, et surtout munie d'un hublot. En avoir entendu parler est une chose, mais être si près m'excitait terriblement. Les idées dans ma tête n'eurent guère le temps de se bousculer, que déjà l'eau arrivait par le sol sortant de je ne sais où. L'insouciance de la jeunesse, la méconnaissance de l'apartheid du moment dans ce pays firent que je ne m'affolais pas le moins du monde, mais tout cela était bien beau, je n'allais quand même pas mourir noyé par bêtise, tout simplement pour vouloir être sûr de ce que certains racontaient sans preuve. Une petite panique m'envahit, mais de courte durée. Un projecteur étanche éclaira la pièce et, oh miracle, la lumière pourtant faible fut suffisante pour me laisser apercevoir dans un coin, un levier que l’on devait actionner horizontalement, et qui était tout simplement l'axe d'une pompe à bras. Quand ce levier était manœuvré rapidement et assez longtemps, le niveau de l'eau baissait. Vous arrêtiez de pomper, le niveau remontait. Le but des geôliers étaient de faire avoir la trouille de leur vie aux patients qui méritaient le droit d'entrée en ces lieux maudits. La peur panique céda la place à la curiosité, et une bonne partie de la nuit, je pompais. Voulant voir jusqu'où irait la méchanceté de mes bourreaux, de temps en temps, j'arrêtais de manœuvrer. On devait quand même me surveiller de près, car dès que l'eau arrivait à hauteur de mes épaules sans que je fasse un geste, le niveau descendait. Avec le recul des années, la sagesse, et les connaissances de ce qui se passait dans ce pays, je me dis que j'ai eu de la chance, car si mon geôlier avait eu la pensée de ne pas évacuer l'eau lui même quand le niveau montait si haut, comme il devait l'avoir fait certainement avant moi, pour des "punis de couleur", je ne serais pas en train de vous raconter cette histoire tranquillement installé devant mon ordinateur, le soir, après mon travail. Pour en finir avec cette expérience personnelle, le jeu devait lasser mes tortionnaires, car après quelques heures de ce supplice, l'eau s'évacua entièrement de ma cellule, et ce fut le calme complet jusqu'au petit matin, pendant que je récupérais la fatigue de mon travail forcé. Ensuite, tout alla très vite, dès que la porte s'ouvrit, on me fit sortir sans ménagement, et jeté dehors sans autre forme de procès. Riche de cette expérience, je pouvais enfin parler de ces fameuses prisons aquatiques. J'en revenais !
*Mazoutage: Escale uniquement destinée a faire le plein de combustible pour le navire. Quelquefois, vu l'attente au quais de chargement, nous y passions plusieurs heures et, les marins avaient le droit de descendre a terre.
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