Il est des jours où je dois écrire pour ne pas étouffer, écrire pour ne pas hurler à la face du monde, écrire pour ressentir à nouveau la douceur d'être avec toi. Geste inutile, car je ne sais si tu liras jamais ces lignes un jour, si tu auras un jour connaissance de la tempête intérieure qui souffle en rafales destructrices dans mon pauvre corps meurtri et mon âme écorchée vive, ensevelis sous les décombres d'un amour impossible.
Mais encore suis-je heureux, car même si tu es aussi éloigné pour moi, et aussi inaccessible que ne l'est le quasar du début de l'univers, j'ai encore droit à t'aimer, j'ai encore droit à penser à toi, j'ai encore droit à regarder ta photo, j'ai encore droit à te parler parfois. C'est si peu, et c'est si énorme pour moi que tu ne peux pas savoir comme mon coeur est serré alors que ma plume court sur le papier. Ta douce présence est un fantôme diaphane, mais palpable, qui me quitte rarement, même après tout ce temps, même après une aussi longue séparation. Ma mémoire se souvient des mots, mes yeux de ton regard, mes mains de la douceur de ton corps et ma bouche de ta peau délicate. Tout mon corps et mon esprit se souviennent d'instants qui sont gravés en moi par le fer incandescent de l'amour fou, des fulgurances de moments de tendresse et de bonheur absolu comme il ne me sera plus possible d'en connaître de pareils.
En ces instants, où ma vie peut basculer brusquement dans l'irrémédiable, car je suis allé très loin dans cette rage d'autodestruction qui a suivi ton départ, dans ce désir de mort, ce refus de vivre, ce dégoût de la lutte qui m'ont envahi quand tu m'as laissé seul sur ce chemin pavé de rocs aigus qui se sont rougis de mon sang depuis que je marche seul, en ces instants où je goûte peut être mes derniers bonheurs avant de plonger dans l'abîme de l'horreur, je pense toujours à toi. Je revois ton visage aimé, tes yeux, ton sourire et j'entends ta voix. Je ressens ton souffle et tes vibrations quand nous étions l'un contre l'autre et que mes mains te câlinaient sans se lasser. Mon âme est submergée à nouveau par une grande vague de bonheur qui se retire en laissant le goût âcre du mirage évanoui et, sur mes joues, le brûlant des larmes que mes yeux continuent à verser en souvenir de l'amour qui a été...
Avant de partir, car j'accepte tout, sans regret, sans crainte de quitter ce qui sans toi n'a plus de sens, je voudrais te revoir une fois encore et te prouver à quel point je t'aime. Je voudrais connaître encore une fois le bonheur de te serrer dans mes bras et de t'offrir mon amour et ma tendresse. Je voudrais encore une fois partager avec toi Mozart et Ravel, avant de me dissoudre et de retourner à la poussière, mais heureux comme jamais homme ne l'aura été sur la terre, grâce à toi.
Personne, autour de moi, ne peut comprendre qu'on puisse aimer jusqu'à accepter la mort, pour pouvoir voir à nouveau, depuis l'Enfer ou le Paradis, celui qu'on aime, le regarder vivre et rire. Voir son amour, même inaccessible, quelle infinie douceur, quel trésor de tendresse. Sa mettre à côté de lui quand il dort, et écouter sa douce respiration d'enfant au sommeil rassuré. Lui faire des caresses qu'il recevra en rêve comme un présent de la Nuit et des Songes...
Juillet 1993
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Science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais)