Les choses de la vie. A toi, et Ă Romy.
Les choses de la vie
Cette goutte de rosée luttant contre la toile arachnéenne, scintillante de la lumière d’une aube. La regarder. Oser l’aimer.
Les fragrances de nos enfances champêtres, si inconnus aux bambins des cités ; oui, « bambins », et pas « vauriens », ni « délinquants ».
Si une fois, une seule fois peut-être, ils avaient eu la chance de respirer les foins coupés, la lavande fraîche, des châtaignes sur le grill, des fraises des bois.
S’en souvenir. Les humer. Devoir de mémoire du Beau.
Incroyable grâce d’une statue de marbre, au détour d’un petit musée de province, en une douce après-midi d’été à l’abri de murs anciens. Avoir envie de la prendre dans les bras, de s’imprégner de chaque contour. Sentir le poli et le burin, devenir l’artiste, se faire Rodin.
Enfermer les surgelés et les plats cuisinés à double tour, ne manger qu’un seul aliment, même pas bio, juste au détour d’un étal en Provence. Mais un petit marché pluvieux, tout au nord de la Loire, fera l’affaire aussi.
Simplement, fermer les yeux, entrer en soi ; croquer cette cerise bigarreau, en sentir chaque bouchée comme autant de printemps à mûrir. Il y a eu ce long hiver au bois cassant, et puis les fragiles pétales nacrés, et cette abeille industrieuse, et notre récompense : l’acidulé de cette chair fondante, le sucre des Dieux, et puis nos rires lorsque, enfants, nous en faisions des boucles d’oreilles carmines. Devenons Temps des Cerises !
Chaque instant est diamant. Ne plus en perdre une miette, de cette vie qui coule comme une fuite d’eau et que nous ne prenons jamais vraiment le temps de réparer. Etre son plombier, enfin. Eau Précieuse, voilà le nouveau nom de notre parfum. En porter haut les couleurs.
Ecouter le silence des inconnus. Observer cette femme africaine dans le métro, ses enfants aux yeux de braise, percevoir la fatigue de sa journée, l’imaginer jeune gazelle en d’autres terres, la savoir en barreaux de cité, et, simplement, lui sourire. Sentir son âme, une fraction de seconde.
Marcher sur ce trottoir crotté et sordide d’une banlieue grise, et s’imaginer longer une grève. Sentir le vent, les embruns, l’iode, au-delà des gaz des voitures, fouler des galets, regarder au loin ces grands navires blancs. Bien sûr que c’est possible : sous les pavés, la plage !
L’étoile polaire, en cette nuit d’été si chaude que la pierre nous semble foyer. Savoir qu’un ami la voit aussi, là bas, si loin, si proche. Faire un vœu, comme à 12 ans. Qui pense à un ami en regardant une étoile décrochera la lune.
Cette goutte de pluie qui joue sur la vitre, se souvenir comme elle nous occupait lors des trajets d’enfance, comme nous lui inventions des chemins. La vie est à réinventer.
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"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue:
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler:
Je sentis tout mon corps et transir et brûler."
Racine, "Phèdre"...