Plume d'or Inscrit le: 15/8/2010 De: Orléans Envois: 1602 |
Récit de voyage,Le passage de la ligne Récit de voyage (Le passage de la ligne) M/S cargo " Ile de la Réunion", premier voyage
Avant les années soixante-dix, les cargos avaient encore le droit de transporter des passagers, on les appelait alors des cargos mixtes (fret plus passagers). Au Havre, pour mon premier voyage sur "l'Ile de la Réunion", une dizaine de passagers à destination de Madagascar avaient embarqués. Il fallait amuser ce petit monde, car trente jours de mer pour des civils devenaient lassants et la moindre distraction à bord était la bienvenue. Donc, l'occasion du passage de la ligne était prétexte à réjouissances. Faisant partie des futurs initiés, je n'étais pas fier car, on m'avait expliqué que la cérémonie était organisée par les anciens qui avaient libre choix sur le déroulement des opérations, et comme pour ce voyage, il y avait des passagers à distraire, je m'attendais au pire. Deux jours après avoir passé Dakar, voici la fameuse ligne imaginaire séparant les deux hémisphères du globe terrestre. Le matin même, en sortant de ma cabine, dès les premiers pas sur le pont, un seau d'eau me tombe sur la tête, ce n'était que l'annonce des futurs amusements de la journée. Pour continuer, dans la matinée, le facteur (marin déguisé en préposé), mais pratiquement nu, (seulement un tablier et une sacoche sur l'épaule lui servaient d'habits) me demande de prendre ma convocation pour les agapes de l'après-midi. Convocation placée, plutôt pliée dans son derrière et oui, dans ses fesses pour être plus explicite et, en plus je devais la prendre avec les dents. Mais le pire était encore à venir. L'après-midi, tout le monde sur le pont, les passagers sur des gradins placés pour l'occasion afin de ne rien perdre du spectacle, et les néophytes dont je faisais partie étaient encadrés par des gendarmes, la fête pouvait commencer. Le Commandant, placé parmi les invités commentait les différentes étapes de la cérémonie. Sur une estrade, attendent déjà Neptune, dieu des mers et son épouse Amphitrite, le curé et les enfants de chœur, le corsaire, tous les personnages nécessaires à la cérémonie, sans oublier le coiffeur. Dans la piscine de toile montée en hâte, les aides attendaient les nouveaux pour les baptiser. Après les paroles d'usage, lues dans un vieux bouquin, les nouveaux, barbouillés de suie, de graisse et rasés (symboliquement) sont plongés dans l'eau pour être purifiés. Quand le dernier est sorti de l'eau, alors commencent les jeux, qui sont basés sur la mer bien entendu; ce ne sont que poursuites avec les manches à incendies, seaux pleins de mélanges inavouables que chacun se lance à la figure, les passagers se sauvent de partout en hurlant, car ils ne sont pas épargnés. Voulant du spectacle, nous leurs donnons du spectacle, même s'ils font partie des victimes. Mais personne ne songe à se plaindre. Seule la cloche de la cuisine annonçant le début d'un bon dîner pour clôturer le tout mettra fin aux festivités. Chaque "nouveau" ayant reçu son certificat de baptême sera fier de le montrer au prochain passage, pour faire à son tour partie des anciens.
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