Le village au bout du monde
C’était un petit village tout perdu au fin fond du Morbihan, quelque part où les arbres poussaient tout de travers et laissaient leurs branches se déployer comme des balais de sorcières en fête, où les chemins creux se faisaient sombres le jour comme la nuit, où les talus ressemblaient à des murailles protectrices autour des prés. Une dizaine de familles habitaient là . C’était des fermes, des maisons de pierre jouxtées à une étable. Mes grands-parents avaient la ferme la plus éloignée, tout au bout du village, au bout du monde me disais-je. Je l’aimais ce bout du monde comme si, au-delà , il fallait faire demi-tour pour ne pas tomber dans le précipice de l’espace. On me disait que la terre était ronde mais moi, j’en était sûre, elle ne l’était pas. Le monde se finissait là . Christophe Colomb, s’il était venu là , aurait transformé sa terre ronde en terre plate et à vouloir pousser son exploration plus loin il serait tombé dans un grand trou noir et puis c’est tout. Du haut de mes huit ans, je regrettais qu’il ne soit pas là pour lui montrer mon bout du monde et me pencher avec lui vers ce ravin gigantesque et observer, alors, ses yeux effarés et son air stupéfait. Au-delà de la ferme, je voyais des champs et des talus, je les ai parcourus, traversés mais me suis toujours arrêtée au dernier talus. Il était comme un dernier rempart avant la fin du monde. Il était haut, bien plus haut que moi. Les primevères, les clochettes et boutons d’or l’envahissaient au printemps comme les dernières beautés, les ultimes merveilles qui m’étaient donné d’admirer, un peu comme un signe, un avertissement qui me disait « ne va pas plus loin petite fille, là s’arrête ton chemin, sois heureuse là où tu es ». Ainsi, peut-être, avais-je compris que rien se servait d’aller chercher le bonheur au-delà d’un talus fleuri puisque je pouvais le trouver, là , juste devant mes yeux et cueillir des parfums sauvages tout simples.
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