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     le vieux clown
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Expéditeur Conversation
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Envoyé le :  12/10/2005 22:09
Plume de platine
Inscrit le: 12/10/2005
De:
Envois: 7412
le vieux clown
Il s’appelle Roland. Ce prénom lui va bien. Dans Roland, on entend « rôle », celui qu’il tenait autrefois. Il était clown. Roland est vieux et fatigué, il a quelques quatre-vingt quinze ans.

Chaque jour, il retrouve son jardin, un jardin familial au milieu de dizaines d’autres. Un coin de paradis bien à lui, particulier : son royaume, son refuge, sa terre d’asile. Il vient à pied, lentement, il s’appuie sur sa canne. Il porte un chapeau de paille, hiver comme été. Il ne le quitte jamais. Il dit que c’est pour empêcher le ciel de lui tomber sur la tête. On le voit dans le petit chemin qui mène à son paradis, on devine son bonheur d’être là : il siffle, il chante, il donne des coups de canne, ici et là, dans les herbes. Il est heureux. Bonheur simple. Pourtant, ses sourcils restent souvent froncés, inquiets ou nostalgiques.

Roland connaît tout le monde ici, chaque jardinier est un ami pour lui, une bonne raison de discuter et d’échanger les fruits des récoltes. C’est un plaisir. Les gens l’appellent « le vieux Roland ». Tout le monde sait par cœur le récit de sa vie, il la raconte sans cesse, un détail en plus, peut-être, chaque jour. Une lueur illumine ses yeux lorsqu’il parle de lui, de son passé, de ses exploits, il est comme replongé dans son univers de spectacle, propulsé sur cette piste ronde et couverte de sciure. Il entre en scène, à nouveau. Ses spectateurs l’écoutent attentivement. Oh ! il n’a pas grand-chose de changé finalement ! il est vêtu de telle façon qu’on pourrait penser qu’il sort directement d’une représentation. Mais non, ce sont ses habits de tous les jours, justement : pantalon trop grand, pull reprisé de partout - on dirait un patchwork -, chapeau rond de paille et pommettes rouges, saillantes comme maquillées exprès pour l’occasion. C’est Roland. C’est le clown des jardins.

Il arrive de bonne heure tous les matins, quel que soit le temps. Il reste jusqu’à la tombée de la nuit. Oh, il a bien un petit appartement mais il y étouffe et puis surtout il est fait pour vivre dehors, pour être libre comme il l’a toujours été. Au fond du jardin, il a construit une petit cabane toute en bois, juste assez grande pour y mettre son fourbis, pour s’y abriter si la pluie vient à tomber. Une petite maison de fortune, sa fortune à lui. Les murs sont décorés de tous ses souvenirs, d’objets incongrus, de posters de chanteurs qu’il a aimés ! des petits chaussons roses de danseuse, chaussons de fillette sans doute sont accrochés. Ils sont presque neufs. Sur une étagère, il a installé un poste de radio. C’est qu’il y tient à sa radio ! il l’écoute tout le temps, il met le son si fort que tout le monde en profite. On sait qu’il est là, Roland, il n’est qu’à guetter les cris de sa boîte à musique de jardin !

Près de la cabane, il a planté des rosiers grimpants et au temps de la floraison, des dizaines de roses rouges viennent embrasser le bois par amour, elles transforment alors le petit logis en maison de poupée. On y verrait bien Blanche-Neige ou quelque princesse au bois dormant… sous la tonnelle, envahie de lierre, Roland a mis un petit banc blanc. Il aime se reposer là, lire à l’ombre et à l’abri. Ses journaux et vieilles revues ne quittent jamais le banc. Il aime lire et relire. Les nouvelles d’il y a dix ans l’intéressent encore autant. Le temps, pour lui, ne représente plus grand-chose. Il vit, il prend son temps, tout simplement : passé, présent et futur sont toujours aujourd’hui pour lui. Il est ainsi Roland, c’est un sacré bonhomme.

Il a un réchaud à gaz, il y fait chauffer l’eau pour le café, il fait très bien la cuisine aussi ! Il mange là le midi et le soir, faut pas croire. Il a même une casserole et une poêle ainsi que plusieurs couverts pour inviter celui qui veut bien partager son repas. Oh, il trouve toujours quelqu’un et un jour, ce fut moi. J’étais habillée tout de blanc ce jour là, je me rappelle. Je passais sur le chemin pour aller dans mon jardin et tout à coup j’ai entendu : « hé hé ! bonjour pt’ite mamazelle ! j’ai réchauffé du bœuf bourguignon, ça vous dit ? je ne mangerai jamais tout ! ». Et je me suis arrêtée, j’avais le temps et puis je trouvais son royaume plutôt drôle et sympa. C’était la première fois que je voyais Roland de près. Il avait mis le couvert sur une toute petite table de fortune, calée avec deux cailloux pour l’empêcher d’être bancale… tout était rafistolage chez lui mais ça tenait ! jusqu’aux mèches de ses cheveux, celles qui lui restaient… elles semblaient posées là, sur son front, comme par magie. Même le vent ne parvenait pas à en soulever une seule.

Il faisait beau ce jour là, c’était un vendredi je me souviens, au mois de juillet. Roland avait même installé un parasol publicitaire « Ricard » ! C’est pas étonnant, il aimait bien boire le coup le Roland ! entre chaque coup de pioche, paf ! un verre ! « ça remonte les troupes ! » comme il disait. Vous pensez ! les troupes ! il était tout seul dans son armée de terre mais elle buvait bien quand même… « une terre sans eau n’a jamais rien fait pousser de bon ! ». S’il le disait c’est que ça devait bien être vrai quelque part.

On était restés à parler, comme ça, sans voir l’heure tourner, toute l’après-midi et il m’avait parlé de ses exploits sur scène. Il était clown mais un clown qui savait tout faire, comme presque tous les clowns d’ailleurs. Il jouait de la trompette. Il l’avait même encore, dans sa cabane. eh bien il l’avait sortie pour me montrer et avant d’en jouer un morceau, il l’avait nettoyée avec la manche de son pull. Il fallait que ça brille sûrement. Comme il jouait bien. Je lui aurais bien volé un dixième de son talent ce jour là mais j’ai préféré le lui laisser, c’était le sien après tout.

Il m’avait fait visiter l’intérieur de sa cabane, mes yeux s’étaient posés sur les petits chaussons roses de danseuse. Je les ai caressés, ils avaient l’air veloutés. Roland a froncé les sourcils, sa mine s’est éteinte soudainement, il a voulu qu’on sorte de là puis il a fermé la porte, sans dire un mot. Alors j’ai fait diversion, je lui ai demandé de me montrer tout ce qu’il avait planté et j’avais à peine fini ma phrase qu’il était déjà parti à faire le tour. Il marchait sur les allées pas trop bien désherbées (c’était pour donner un côté campagne !) –c’était plutôt réussi- et se penchait sur chaque légume sorti de sa terre. Moi, je prenais un malin plaisir à faire celle qui n’avait jamais vu un légume de près. Du moins, c’était vrai pour les siens après tout. Il se montrait fier comme Artaban devant ses rejetons potagers, il esquissait des sourires radieux que j’aimais beaucoup. Ca lui donnait vraiment l’expression du clown innocent qui s’émerveille devant une rose qu’on vient de lui offrir avec révérence.

Le soir, lorsque nous nous sommes quittés, il m’a serré la main très fort, il m’a dit « il faut que tu reviennes souvent ici pour que je puisse te donner des fleurs, des groseilles et des cassis pour ta petite fille ». Je lui avais dit que j’avais une petite de trois ans et il était déjà pressé de la voir. Je lui avais promis de revenir la lui présenter le lendemain.

Le jour suivant, Charlotte m’accompagna au jardin et Roland guettait notre arrivée. A peine étions-nous apparues au loin qu’il agitait déjà sa canne pour nous inviter à le rejoindre ! Quand il vit Charlotte, dans sa salopette un peu trop grande, ses tresses qui lui donnaient un air de chipie, il la prit dans ses bras et ce fut même un geste très difficile pour lui. Il n’était pas solide sur ses jambes. Mais il l’a fait. Il lui a dit « toi ! tu es un bouchon de cirque ! tu m’as l’air d’une bonne petite bonne femme qui a plus d’un tour dans son sac ! ». Charlotte était intimidée et surtout étonnée. Elle semblait plus pressée de retoucher terre qu’autre chose. La pauvre ! n’empêche que ce jour là, Roland a sorti un petit vélo sans roulettes sur les côtés, il a planté Charlotte dessus et il lui a dit « Je vais t’apprendre à pédaler comme une reine ! ». Au bout de quelques séances, en très peu de temps, Charlotte sillonnait les allées des jardins comme si le vélo faisait corps avec elle.

Au fil du temps, Charlotte réclamait d’aller voir le vieux Roland, c’était devenu son copain. Il lui confectionnait des couronnes de fleurs, il lui maquillait le visage en clown et elle disait « j’ai une tête de clown, en vrai ! »… il lui donnait du jus de fruit, des bonbons et lui faisait écouter des cassettes de vieilles chansons, en battant la mesure avec le pied. Elle écoutait, elle regardait , elle battait la mesure aussi. Ils étaient drôles à voir. Et puis, il y avait quelque chose de très attirant encore ! des petits chatons ! Roland avait deux chats et des chatons. Aucun ne se montrait sauvage, ils se laissaient prendre et caresser. Charlotte en tenait toujours au mois trois à la fois, elle avait la grande mission de leur donner des prénoms.

Un jour, elle a voulu attraper les chatons cachés dans la cabane, elle est entrée et au lieu de ressortir avec trois petites bêtes, elle tenait dans ses mains deux petits chaussons roses. Elle a regardé Roland et elle lui a dit « Dis Roland, t’as une petite fille toi aussi ? elle est où ? ». Roland n’a pas bougé. Il a simplement dit « ce sont des chaussons c’est tout » puis il les a remis à leur place.

Un dimanche matin, au jardin, on n’a pas entendu la radio de Roland. Il n’était pas là. Comment cela pouvait-il être possible ? Tous les jardins étaient vides. Il manquait la pièce maîtresse dans cet univers de verdure. Un sentiment d’angoisse m’a saisie, un immense courant froid m’a traversée toute entière. Non, il ne lui était rien arrivé, c’était juste moi qui imaginait le pire. Roland était sûrement parti chez des amis ou peut-être malade tout simplement ? On ne l’a pas vu de la journée.

Trois jours plus tard, dans la boîte aux lettres, j’ai trouvé un colis. Un petit paquet bien emmailloté. C’était pour Charlotte. Je le lui ai donné. Elle l’a ouvert. Deux petits chaussons roses reposaient au fond, sagement, intactes, veloutés et magiques. Il y avait une lettre aussi :

« Mes enfants, je suis vieux et je suis très malade, je n’en ai pas pour bien longtemps, j’ai été en piste quatre-vingt-dix ans et c’est déjà beau, je ne vais pas me plaindre mais plutôt m’en aller content. Je vais juste être parti de mon jardin mais vous penserez à arroser de temps en temps car je pourrais bien revenir pour vérifier ! les petits chaussons sont ceux de ma fille, elle était funambule, elle était belle et merveilleuse, elle était ma vie. A huit ans, elle est tombée du fil et je n’étais pas là pour la rattraper. Elle s’est tuée. Soyez toujours là pour rattraper votre petite si un jour elle glisse sur le fil de la vie. Et toi Charlotte, regarde où tu mets les pieds s’il te plaît. Je vous aime. Roland. »


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Soliane
Envoyé le :  13/10/2005 19:17
Plume de diamant
Inscrit le: 22/6/2005
De: Aquitaine
Envois: 24235
Re: le vieux clown
Un récit très émouvant et très beau...
Bravo Isabelle ! j'ai beaucoup aimé le lire.


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apostrophe
Envoyé le :  14/10/2005 11:38
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 12/10/2005
De:
Envois: 2349
Re: le vieux clown
A une virgule près ... je retrouve le plaisir de relire cette nouvelle .... Toi mon Apostrophe
Devine ?


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Ci-contre , ceci est une petite Loutre : charmant petit mustélidé ...
joueur, gai, primesautier ... bref, le genre de petit Animal que j'aime .

Fasse le destin, qu'un jour l'amour soit universel , tout alors
deviendrait secondaire ... (moi)

virgule
Envoyé le :  14/10/2005 14:27
Plume de platine
Inscrit le: 12/10/2005
De:
Envois: 7412
Re: le vieux clown
merci Soliane de m'avoir lue car c'Ă©tait long ! bisous Ă  toi.


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