Et les cartes tombent, tombent, aux sons envoûtants des ségas, tard, tard, jusqu’au petit matin…
Cinq années ensemble, déjà , et puis un couple d’amis. Avec aussi une grande attirance réciproque pour deux d’entre nous. Du "pourquoi pas si ça leur fait plaisir… Eh ! Pourquoi pas ?" Pour les deux autres : une beauté des îles et un parisien bien terne, moi.
Samedi soir, un dîner arrosé puis une partie de tarots bien ennuyeuse. Cette nuit, nous sautons le pas. Hugo reste ici, et moi, le petit parisien un peu anxieux, je m’éclipse vers son appartement avec Suzie, ange inaccessible, belle comme une vahiné, jolie comme un cœur.
BientĂ´t, nous dansons tous les deux. Elle rit Ă chaque fois que, si belle, si douce, elle se regarde au fond de mes yeux.
Elle m’offre ses lèvres. Je résiste. Timidité ? Désir de contrôler la situation ? Peur de me lancer ? Soudain je pense à nos tendres moitiés qui eux, pendant ce temps, lisent gentiment Victor Hugo. Alors, je la jette sur le divan. "Prends-moi, dis-moi des mots sauvages !" Avec cet accent-là , ces mots-ci rendent fou. Or au fond de moi pointe un petit problème, et plus j’y pense moins ça s’ébranle.
Alors on s’essaye à tout. En vain. Résignés, nous nous endormons enlacés. Soudain, je sens un baiser suave comme un letchi bien mûr, pimenté doux comme rougail mangue verte. Alors, je me dégourdis à brûle-pourpoint.
À ce moment, un cliquetis de clés bafouille dans sa serrure. "Mais bon sang, qu’est-ce que vous faisiez pendant tout ce temps ! Faut pas vous gêner non plus !!!…"
Et les cartes tombent, tombent, aux sons envoûtants des ségas, tard, tard, jusqu’au petit matin…