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     Le roman de Pierre et Paul
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Expéditeur Conversation
Berny
Envoyé le :  7/2/2020 17:43
Plume d'argent
Inscrit le: 11/8/2019
De:
Envois: 347
Le roman de Pierre et Paul

J’ai longtemps hésité à prendre la plume, mais voilà, c’est fait.
Je m’appelle Pierre, et porte bien mon prénom, car je suis bien bâti physiquement et assez solide dans mes convictions. Mais ce n’est pas de moi dont je veux vous parler, c’est de mon ami Paul, ou du moins, de notre amitié.
Nous nous connaissions depuis la sixième où nous avaient naturellement rapprochés nos résultats scolaires : Paul était toujours le premier en français et moi en mathématiques. Au fil des ans, nous avions développé, à l’aide de maintes rencontres, discussions, une solide connivence : nous devinions sans hésiter ce qui se passait dans la tête de l’autre, étions prêts à nous rendre service dès qu’il le paraissait nécessaire.
C’est en terminale que tout a basculé : au premier contrôle de français, Paul n’était que cinquième ; je me gardais bien de lui en faire la remarque. Après tout, le français me paraissait plus complexe que les mathématiques, ce n’était probablement qu’un accident. Au deuxième contrôle, Paul était dixième. A la rentrée du deuxième trimestre, Paul était absent.
Je connaissais bien ses parents et allais aux nouvelles : ma surprise fut grande d’apprendre que Paul avait été interné dans une clinique psychiatrique ; grâce à notre amitié, j’en connu la raison : Paul avait tenté de se suicider pour une raison encore inconnue. En possession de l’adresse de la clinique, je décidai de m’y rendre le lendemain à la sortie des cours de l’après-midi.
Je donnai mon nom à la grille d’accueil, Pierre X, et demandai à voir mon ami Paul Y. Paul voulait bien me voir ; j’entrai dans le parc et le vit descendre vers moi depuis une grande maison située sur les hauteurs. Nous nous assîmes sur un banc.
Mon ami avait l’air fatigué ; d’une voix bougonne inhabituelle il me questionna :
Qu’est-ce que tu veux ?
Je voulais te voir, tu ne viens plus au lycée.
C’est mon problème.
J’étais interloqué : avec Paul, nous avions toujours tout partagé.
Paul se mura dans un mutisme impressionnant, je n’osais plus rien dire. Au bout d’un quart d’heure de silence oppressant, je décidai de partir :
Bon, je repasse demain même heure ?
Si tu veux.
Le lendemain, Paul m’attendait sur le banc. Je l’avais à peine salué qu’il attaqua :
Tu connaissais Lisa ?
Lisa, non, pourquoi ?
De nouveau ce mutisme intolérable. Mais je comprenais qu’il y avait une histoire de fille là-dessous. C’était étonnant, il ne m’en avait jamais parlé.
Les jours qui suivirent, Paul se mit à me parler de cette fille, Lisa, qu’il avait rencontrée l’été dernier sur la plage. Paul je l’ai dit, était un littéraire, il savait trouver les mots pour décrire sa rencontre avec Lisa, ses formes qui l’avaient tout de suite attiré, son bikini qui l’avait tant troublé, la blondeur de ses cheveux longs qui lui tombaient jusqu’à la taille, les premiers baisers qu’ils avaient échangés, la première fois où ils avaient fait l’amour cachés dans le creux d’une dune.
Paul en était tombé follement amoureux. Ils s’étaient aimés d’un amour que Paul croyait éternel. Mais le dernier jour des vacances, Lisa n’est pas venue à son rendez-vous habituel, et il avait trouvé dans son courrier ce petit mot terrible :
Merci, Paul, nous avons eu du bon temps, mais c’était les vacances, adieu, ne cherche pas à me revoir.
Je ne sais pas si le fait de m’en avoir parlé a aidé mon ami à se remettre de ce qui, avec du recul, aurait pu paraitre comme un banal chagrin d’amour d’adolescent.
Comme il arrive parfois, les hasards de la vie nous ont séparé : Paul poursuivait ses études littéraires, brillamment d’ailleurs, et moi je terminais mon école d’ingénieur.
J’allais me marier avec Élise, que j’avais rencontrée quand j’étais en terminale, une brune ravissante.
J’avais invité Paul à notre mariage, mais il n’était pas venu, prétextant une conférence à donner en province. Je me suis demandé si Paul ne regrettait pas de s’être épanché auprès de moi ; il voulait peut-être tirer un trait sur son passé.

*

Nous avions pris l’habitude, Élise et moi, de faire, le weekend,
une bonne petite bouffe dans une auberge au bord du lac. Au cours d’un repas bien arrosé, je ne sais pas pourquoi l’envie me prit de questionner Élise :
Dis-moi, Élise, avant moi, tu as connu beaucoup d’hommes ?
Tu rigoles, avant mon mariage, j’étais une petite bourgeoise bien sage. Si, il y a bien une fois, tu sais comme sont les filles à seize ans, je m’étais teinte en blonde, et j’ai eu une petite aventure : un jeune de mon âge m’a draguée, c’était assez nouveau pour moi ; comme j’étais prudente et ne voulais pas m’engager, j’avais même changé pour lui mon prénom en Lisa.
En Lisa ?
Oui.
Et il s’appelait comment ?
Paul, je crois.

Je me souviens que, dans le silence qui suivit, Élise et moi suivîmes longtemps du regard une barque qui s’en allait au loin.

*

J’ai commencé par vous parler d’abord de Paul, mais vous ne comprendrez rien à la suite de cette histoire si je ne vous parle pas de moi.
Mais parler de soi à des lecteurs inconnus est un exercice risqué. Comment trouver les mots justes, suffisants, sans emphase ? Surtout que, à la différence de mon ami Paul, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le français, à la différence des mathématiques, n’est pas mon fort. Ah comme je l’ai souvent envié pour ses tournures de phrase ! Jamais Paul n’aurait employé deux fois de suite à un si court intervalle le mot différence comme je viens de le faire ; à moins de l’avoir fait exprès, ce qui n’est pas mon cas. Vous allez m’en vouloir de vous parler de Paul et non de moi et pourriez en déduire que j’ai peur de révéler mon moi. Tiens, pour une fois, cette expression révéler mon moi me plait. Il y en a qui prétendent que le moi est haïssable, ce qui n’est pas mon cas. J’utiliserai volontiers le copier/coller qui fait gagner un temps fou, je viens de le faire d’ailleurs pour le mot différence et l’expression ce qui n’est pas mon cas. Vous pourriez me dire que vous aviez compris par vous-même, mais c’est justement un des traits de mon caractère : j’insiste souvent, je décortique, j’explicite, pour être sûr d’avoir été compris. Enfin bref, pépin comme je le disais dans mon enfance, par allusion à Pépin le Bref qu’au début je pensais ainsi nommé à cause de sa petite taille. Depuis, j’ai eu l’occasion de préciser mes connaissances, car je dois vous l’avouer, j’ai un penchant certain pour l’histoire et les hommes qui la font. Et bien figurez-vous, on pense que c’est vraiment à cause de sa taille qu’il fut ainsi appelé, sans en être sûr néanmoins. Ceci dit, ce n’était pas n’importe qui : fils de Charles Martel, oui, celui qui battit les arabes à Poitiers en 732, ce n’était pas rien, et qui donna naissance à Charlemagne, tout simplement. Je ne vous parlerais pas de sa femme Berthe, dont vous connaissez peut-être la taille des pieds, mais de son idée géniale de la royauté de droit divin dont on a eu tant de mal à se débarrasser. Enfin si, concernant Berthe, sachez qu’après ses pérégrinations elle l’a rejoint à la basilique Saint-Denis où il vous sera loisible de les retrouver, si vous le désirez. Remarquez qu’entre la petitesse de Pépin et la grandeur des pieds de Berthe, on peut voir la preuve d’une certaine complémentarité dans le couple. Je ne veux pas faire de publicité, mais je me suis laissé dire qu’il existe une marque de chaussettes Berthe aux grands pieds qui peut vous aider à prolonger son souvenir. Mais revenons à nos moutons. A propos de cette expression, tirée comme vous le savez de La farce de Maître Pathelin dont l’auteur est inconnu et où l’on parle de duperie, de draps et de moutons, je vous renvoie à Wikipedia pour plus ample information.
Vous vous êtes peut-être posé cette question d’avoir été ou non un enfant désiré. Dans mon cas, c’est oui, j’en suis sûr. Enfin, c’est ce que je pense, je me serais bien gardé de poser la question à mes parents pour en avoir la certitude. Ce qui est sûr, c’est que je suis resté enfant unique. Vous pourriez en déduire qu’ils avaient assez donné avec moi, ou tout aussi bien que je leur avais tout donné pour les combler. Je penche pour la deuxième partie de l’alternative. Je leur ai fait une enfance de rêve pour des parents : ne pleurant pas la nuit, mangeant bien, croissant en taille plus vite que la moyenne, plutôt surdoué dans ses études, surtout en mathématiques comme je l’ai dit, pour le plus grand plaisir de mes ascendants paternels et maternels tous issus de l’Ecole polytechnique. Ne leur posant pas de problème de croissance, il leur était tout loisible de vaquer à leurs occupations, d’autant plus que la maison était tenue par le valet Firmin et la soubrette Conchita, d’origine espagnole comme il se doit. Après le décès de mes parents dans un accident automobile dont ils n’étaient en rien responsables, nous gardâmes Firmin et Conchita dans notre foyer, mais n’anticipons pas.
Je le sens, vous vous attendez à ce que Conchita ait participé à mon éducation sexuelle, comme c’est souvent le cas, m’a-t-on dit, mais ce n’est pas mon cas (copier/coller). C’est peut-être dommage.
Pour vaincre ma solitude, je me suis en fait réfugié dans une amitié sans limite avec Paul, voilà tout. Paul a toujours été un brillant élève, surtout en lettres vous le savez, mais c’était un être très sensible et plutôt chétif ; nous nous complétions parfaitement.

*
Finalement, je vous ai tout dit de moi, ou presque, et en peu de mots. Il me faut maintenant vous parler de l’enfance de celle qui allait devenir mon épouse, Élise.
Vous conviendrez avec moi qu’il était plus facile pour moi de vous parler de mon enfance, et j’espère vous en avoir donné une vision sincère, que de vous décrire celle d’Elise : je ne peux la connaitre qu’à travers ce qu’elle a bien voulu me dire, et c’est bien peu.
Elise est d’un milieu très modeste : son père est bourrelier, sa mère couturière travaillant à domicile pour des bourgeoises du seizième arrondissement de Paris. Élise est fille unique ; ses parents ne sont pas le genre à faire des enfants pour toucher les allocations familiales. Ce sont des gens simples, charmants, bons catholiques pratiquants, qui ont su l’aimer si l’on se fie au doux sourire qu’elle sait toujours offrir, sourire qui me troubla lorsque je l’aperçus pour la première fois un des rares dimanches où je m’étais rendu à la messe. Depuis ce dimanche, d’ailleurs, ma piété fit un grand bond en avant. Ce grand bond en avant me fait penser à Mao Zedong dont la politique économique entraîna la mort d’au moins trente millions de chinois, mais c’est un aparté dû à ma passion pour l’histoire, voir plus haut. Or donc, à force de la voir me sourire, je l’attendis un jour à la sortie de la messe et lui proposai une petite promenade au cours de laquelle j’appris, entre autres choses, que son père était bourrelier et sa mère couturière. Ceci n’était pas pour me déplaire, nous nous plûmes. Oui je vois que j’emploie le passé simple pour un passé qui fut simple. Je fais déjà des progrès en français.

*

Je ne tardai pas à demander Élise en mariage ; ma demande fut acceptée avec reconnaissance par Élise et par ses parents qui n’avaient jamais rêvé voir leur enfant épouser un polytechnicien, mot barbare à leurs yeux, mais qui comprirent vite l’intérêt pour leur fille de cette union ouvrant l’accès à un milieu social dont ils s’étaient toujours sentis exclus.
Je mis à contribution les talents de couturière de ma future belle-mère pour la confection d’une robe de mariée en satin à la jupe évasée et au décolleté que certains auraient pu trouver provoquant, tous matériaux financés par mes propres deniers car je gagnais déjà ma vie très confortablement.
Habitant à Neuilly, je choisis de nous marier à l’église Saint-Pierre, idéale pour un mariage très chic suivi comme il se doit à une réception à la maison des X. Je dois mettre à l’actif d’Élise sa grande faculté d’adaptation aux mœurs de mon milieu : se laissant prendre délicatement la main pour le baise main elle sut de suite accepter avec son charmant sourire les félicitations des personnalités présentes, se souvenant avec une mémoire étonnante des cadeaux de chacune. Avait-elle briefé ses parents, je ne sais, mais ils surent se montrer très discrets.

*

Comme s’ils avaient décidé que leur fils pouvait voler de ses propres ailes, mes parents décédèrent donc le lendemain de notre mariage dans un terrible accident d’auto. Il était pour moi impensable d’abandonner Firmin et Conchita, Élise accepta avec enthousiasme de les prendre à notre service. Je me dois de vous parler un peu plus d’eux.
J’avais toujours connu Firmin au service de mes parents et savais combien il leur était indispensable. Toujours cravaté, de complet sombre vêtu, Firmin veillait sur mon père comme un père. Mon père (cela fait trois pères …) trouvait tous les matins sur son valet de pieds les vêtements disposés la veille par son valet tout court. Les chaussures, dont il changeait un jour sur deux, étaient parfaitement cirées. Suivant un rituel habituel (quel rituel ne l’est pas ?) mon père s’habillait et sonnait Firmin pour qu’il lui fasse son nœud de cravate. Faire un nœud de cravate sur soi n’est déjà pas évident, mais le faire sur un autre pouvait être redoutable, pas pour Firmin. Vous me direz que papa n’emmenait pas Firmin quand il partait en voyage d’affaires, ce qui était assez fréquent ; il emportait avec lui une cravate au nœud tout fait, cela existe. A propos de valet, j’attends avec impatience que soit rejouée la pièce de Bertolt Brecht Maître Puntila et son valet Matti que j’avais en 1964 vue jouer au TNP par Georges Wilson et Charles Denner. Vous craignez peut-être quelques ressemblances entre Firmin et Matti, et bien, pas du tout.
Je me dois ici de vous dire que je suis un peu effrayé par ma facilité à faire des digressions, mais c’est comme ça, je laisse faire mon inspiration. Néanmoins, pour ne pas égarer le lecteur, je fais le point ci-après :
Pépin le Bref : 714 - 768
La Farce du maître Pathelin : quinzième siècle, auteur inconnu
Mao Zedong : 1893 – 1976 «  Le grand bond en avant  »
Le Dialogue des Carmélites Bernanos (je ne l’avais pas cité)
Maître Puntila et son valet Matti : Bertolt Bretch

Arrivé à ce point de la lecture, le lecteur peut
- continuer
- reprendre au début
- mettre le livre de côté pour l’offrir à Noël à une personne qu’il ne porte pas particulièrement sur son cœur

*

Nous avions décidé Élise et moi d’attendre deux ou trois ans avant de faire des enfants. Comme il est fréquent, et c’est bien commode, je chargeais m’en épouse de prendre ses dispositions en ce sens.
C’est fou comme la vie en couple sans enfants et sans chien (dont la vie en appartement doit être un calvaire), quand on a les moyens, peut être passionnante. En ce qui me concerne, mon job me permettait de rentrer à midi pour un déjeuner léger préparé par Conchita et d’être à la maison vers dix-neuf heures ; Firmin m’apportait mes pantoufles et le journal dont je commentais les grandes lignes pour Élise ; cela la changeait de la lecture de Gala. Suivait l’apéritif (chérie qu’as-tu fais aujourd’hui ?) et un dîner préparé, j’allais dire avec amour, par la même Conchita. Deux petites heures de télévision pour Elise pendant que je m’adonnais à mon violon d’Ingres, la lecture de romans historiques. A propos de violon d’Ingres, il est bon de rappeler qu’Ingres, en dehors de son métier de peintre, fut deuxième violon à l’orchestre du Capitole de Toulouse, d’où l’expression. Ce que j’aimais surtout était de fantasmer sur son Odalisque et sa nudité orientale avant de me mettre au lit pour un cou-couche panier qui pour nous voulait dire l’amour une nuit sur deux en changeant chaque fois de position dont je vous ne donnerai pas la description. Ce fut d’ailleurs pour moi une délicieuse surprise de voir mon épouse si friande de la chose ; elle s’y montrait si experte que je la soupçonnais de s’en entretenir avec ses copines de Yoga.
Car Élise, pour occuper ses journées, attirée par une de ces publicités tentatrices qui enrichissent les journaux pour femmes oisives, se livrait deux fois par semaine à ses salutations à la lune et autres figures indispensables à l’équilibre de la personne, malgré le coût que d’aucuns auraient pu trouver prohibitif ; nous avions un compte en banque commun.
Vous vous êtes peut-être étonné que je n’aie pas insisté sur le sens de l’expression cou-couche panier. De quel panier s’agit-il ? Est-ce celui du chat ? En tous cas, pour vous endormir, rien de telle que la chanson « Cou-couche panier » chantée par Jacqueline Boyer que vous trouverez aisément sur Youtube. Pourquoi ne pas écrire des chansons sur bou-bouche chérie, cou-couche bébé, tou-touche farouche, mou-mouche toi vite, lou-louche ta soupe…
Mais revenons à mon épouse jeune mariée dont j’ai suggéré, à tort, une certaine oisiveté. C’était bien sûr oublier la charge que représente la gestion du personnel à la maison, les courses qu’il faut faire journellement, les menus à décider, le lèche vitrine, etc…etc… En tous cas, je me gardais bien de critiquer son emploi du temps, elle paraissait si heureuse.
Quant aux week-ends, nous profitions à mort des installations sportives proposées à faible coût par le Comité d’entreprise de mon entreprise (désolé pour cette répétition). Un petit théâtre de temps en temps, un des derniers films sortis pour avoir de la conversation avec mes collègues de bureau que nous recevions souvent à la maison, enfin dans l’appartement, une petite bouffe en amoureux comme nous l’avons déjà dit, bref, elle était belle la vie.

*


Le lecteur se souvient certainement du silence qui s’était installé après le récit fait par Élise de la drague de Paul.
A quoi pensait donc Élise ? Prenait-elle quelque plaisir à revivre en pensée cet épisode de sa jeunesse ? Avait-elle du remords pour la façon dont elle avait mis fin à cette aventure ? Regrettait-elle d’en de m’en avoir parlé ? Difficile de trancher.
Quant à moi, il était clair que le Paul en question était mon ami d’enfance. Il était hors de question d’éclairer la lanterne de mon épouse à ce sujet, elle s’en serait trouvée fort gênée.
Le silence fut heureusement rompu lorsque nous prononçâmes ensemble « le passé, c’est le passé », cette simultanéité suscitant un grand éclat de rire.
Le repas se termina par le dessert du jour, qu’il est inutile de préciser puisqu’il change chaque jour, suivi d’un bon café, et la vie reprit son cours habituel.
Je ne pouvais pas prendre le risque d’inviter Paul chez moi ; mais notre amitié pourrait continuer à vivre par l’échange de mails cryptés dont Élise n’aurait pas connaissance, comme le prouve ce premier courriel :


Mon cher Pierre.
J’ai bien regretté de ne pouvoir assister à ton mariage. Je suis sûr que tu nages dans le bonheur et c’est très bien.
Pour le moment, je ne me suis pas mis la corde au cou et j’ai accepté un poste d’enseignant à Québec. Nous ne pourrons donc plus nous rencontrer physiquement mais j’espère bien maintenir vivante notre amitié par l’échange de courriels.
Donne-moi vite de tes nouvelles,
Paul

*

Je m’aperçois que je ne vous ai pas tout dit concernant mon enfance. D’abord sur le rôle de Firmin. Depuis la maternelle jusqu’à l’entrée en sixième, c’est lui qui a fait toutes les conduites scolaires. Je me souviens très bien de la première fois où il me remit entre les mains de ma première maîtresse : autour de moi, ce n’était que pleurs, lamentations ; moi, j’étais déjà fier, fier d’être conduit par celui que mes camarades prendraient longtemps pour mon père. Je me suis dirigé crânement vers la classe et me suis bien gardé de me précipiter à la fenêtre pour un dernier au revoir. J’avais déjà marqué que je n’étais pas comme les autres.
Je ne vais pas vous donner plus de détails sur mon cursus scolaire qui me vit entrer à Polytechnique avec un an d’avance et en sortir second ce qui me permit de faire l’école des Mines d’où je sortis aussi second. Je dois vous dire que j’aurais de loin préféré la première place et ai évité par la suite de croiser la route de celui qui m’avait ainsi deux fois humilié. Papa ne m’en a pas voulu, et maman non plus. Ces mots me rappellent la chanson de Jean Nohain « Papa n’a pas voulu, et maman non plu ». Bien sûr, je n’ai pas voulu épouser l’institutrice, mais j’ai beaucoup aimé écouter Mireille la chanter.
Puisque je vous ai parlé de Firmin, un petit mot sur Conchita. Conchita et Firmin habitaient dans l’appartement de mes parents, chacun sa chambre au fond du couloir, l’un à gauche, l’autre à droite. C’étaient vraiment des domestiques : ils faisaient partis de la maison (domus). J’ai mis longtemps à me rendre compte qu’ils entretenaient des rapports plus intimes que ceux de simples employés ; ils couchaient alternativement deux à gauche et deux à droite. Mes parents le savaient, mais ils laissaient faire. Conchita était très belle, il faut le dire, et quand elle servait à table je voyais avec gêne mon père plonger le regard dans son décolleté ; il n’était pas prêt de s’en séparer.
Conchita faisait à la fois office de femme de chambre et de cuisinière. Cela parait beaucoup, mais nous n’étions que trois, recevions très peu et dans ce cas, prenions un extra.
Nous pûmes loger aisément Firmin et Conchita dans notre appartement à Neuilly au fond du couloir, chambre à gauche et chambre à droite. Mon père ne m’ayant pas appris à faire les nœuds de cravate, Firmin y suppléa. Vous vous êtes peut-être déjà comme moi posé la question de savoir ce que vos parents vous ont vraiment appris en dehors de ne pas mettre les coudes sur la table et de savoir dire bonjour et merci. J’imagine d’ici la variété des réponses, allant de rien, un peu, beaucoup, vraiment, à la folie et pas du tout. Chacun de vous trouvera sa réponse en effeuillant la marguerite de ses souvenirs. En ce qui me concerne, il m’a appris le plaisir de la réussite, scolaire d’abord, au travail ensuite, et le grand bonheur d’une existence sans problème financier, merci à lui. Ah, j’oubliais, le goût pour les chemises et les mouchoirs bien repassés.

*


Mon cher Paul.
Je m’empresse de répondre à ton courriel. Tu me dis être toujours célibataire, c’est ton droit.
Je pense que ton accent doit bien amuser tes étudiants ; ils doivent boire tes paroles. J’imagine aisément une petite blonde canadienne qui aimerait bien te passer la bague au doigt, sois prudent.
Nous sommes installés Élise et moi (voir sa photo en pièce jointe) dans un superbe appartement à Neuilly assez grand pour y loger, après le décès de mes parents dans un stupide accident d’auto, leurs employés Firmin et Conchita. Tu vois que nous sommes bien aidés.
Laisse-moi te donner quelques nouvelles de mon travail. J’ai été embauché dans une start-up grâce à une idée que j’avais proposée lors de mon entretien : développer une application (Circultrottoir) qui permet de voir en temps réel sur son smartphone la densité sur chacun des trottoirs d’une rue de la présence des trottinettes (avec ou sans moteur), rollers, skate-boards, vélos et autres engins qui perturbent la circulation des piétons, particulièrement des personnes âgées, et engendrent de nombreux accidents qui accroissent le déficit de la sécurité sociale déjà fort important. En trois mois nous avons testé cette application sur l’avenue du Roule à Neuilly, la mairie ayant financé l’installation des caméras indispensables. La mortalité a été divisée par deux. Il s’en est suivi pour moi une promotion à la tête du service La rue connectée de mon entreprise, l’ancien responsable ayant été licencié sans motif réel sauf celui d’avoir atteint la cinquantaine. J’ai quitté sans regret le bureau open space où trimaient une quinzaine de développeurs pour un bureau d’angle. Petit détail, j’ai un superbe fauteuil de direction en cuir avec un appui-tête ; pourvu que je ne m’y endorme pas. L’application va être étendue à tout Neuilly, Paris y réfléchit.
Donne-moi plus de détails sur ta vie professorale
Ton ami
Pierre

Mon cher Pierre,
Non, il n’y a pas de petite canadienne, blonde ou brune, qui cherche à me mettre le grappin dessus. Par contre, je donne des cours de français en maîtrise à des élèves très motivés, pas le moindre chahut.
Nous avons eu un hiver très froid, mais la ville par ses nombreux magasins et lieus de loisirs abrités permet d’y faire face sans problème.
Je te félicite pour ton début de carrière plus que prometteur. J’espère que ton travail te laisse du temps pour une vie de couple équilibrée. Élise travaille-telle ?
Bien amicalement,
Paul

*

Nous aimions bien Élise et moi, le week-end, déambuler dans le quartier sans autre souci que le plaisir de regarder les vitrines qui, depuis quelque temps, savaient se rendre particulièrement attrayantes. Je pense entre autres à cette vitrine de Chez Dessous qui présentait, comme son nom le suggérait, des sous-vêtements suggestifs (suggérait, suggestifs, encore mon français médiocre) pour femmes dont la contemplation ne saurait laisser indifférent tout homme normalement constitué. C’est mon épouse qui prenait toujours la direction de nos pas et elle ne manquait pas de passer comme par hasard devant la vitrine de Chez Dessous. J’ai dit comme par hasard, mais était-ce vraiment par hasard ? J’avais remarqué que depuis quelque temps mon épouse, qui prenait un charmant plaisir à se montrer le matin en petite tenue, arborait des deux pièces qui ne manquaient pas de provoquer pour moi un début d’érection matinal qu’il était urgent de contrôler, le bureau m’attendait. Certaines fois, cette espiègle me prenait la tête entre ses mains et m’attirait contre elle pour me laisser déposer un délicat baiser sur les fleurs de sa petite culotte du jour dont je respirais le parfum avec volupté. Il me fallait alors me précipiter dans l’entrée pour arracher à Firmin ma serviette, dévaler les deux étages quatre à quatre et m’engouffrer dans la voiture dont mon chauffeur Lucien refermait vivement la porte. J’avais juste le temps de me pencher à la fenêtre pour faire un petit signe à Elise qui me gratifiait de son plus beau sourire. Vite, Lucien, vite ; j’en oubliais même de lui dire bonjour, tellement je détestais être en retard.
J’aurais pu déduire que ses dessous venaient de chez (facultatif) Chez Dessous et qu’elle aurait bien aimé que je sorte quelques billets pour lui en offrir, le jour de son anniversaire ou tout autre jour, pourquoi pas. Mais vint le jour où je fus amené à lui faire un cadeau beaucoup plus important : la vitrine était barrée d’un grand « A vendre » qui ne lui avait pas échappé. C’est au moment de me servir mon deuxième whisky qui allait forcément tendre à me ramollir qu’Elise fit cette suggestion surprenante : si on achetait Chez Dessous ? Je pris une grande gorgée de mon breuvage préféré, un douze ans d’âge dont je ne citerai pas la marque pour ne pas avoir d’ennui avec la concurrence, et m’écriai :
Acheter Chez Dessous ?
Oui, pourquoi pas. Tu sais, cela m’occuperait la journée ;reconnais que tu passes beaucoup de temps au boulot, ce n’est pas un reproche, bien sûr, mais moi à la maison je finis par m’ennuyer. Firmin et Conchita s’occupent de tout, nous n’avons pas d’enfant…
J’aimais beaucoup ma femme, je réalisais combien cela avait dû être délicat pour elle de faire cette demande, car c’est moi qui tenait les cordons de la bourse.
— C’est une très bonne idée ma chérie, viens que je t’embrasse, tu sais comme je te veux heureuse.
Élise se jeta dans mes bras, m’embrassa goulûment, m’apparut soudain avec ses seuls sous-vêtements qui, comme vous le savez, mais je n’insiste pas. Partisan d’un certain confort pour faire l’amour, je la pris dans mes bras (je suis très robuste) et nous nous retrouvâmes dans le lit nuptial, j’ai bien dit nuptial car c’est là que nous avions passé notre nuit de noces avant de nous envoler pour Les Baléares.
Le lendemain fut le jour de la vente de Chez Dessous.
Nous nous rendîmes conjointement chez (obligatoire) Chez Dessous vêtus de nos vêtements les plus modestes, vous avez deviné pourquoi.
Nous fûmes reçus par la personne de l’agence chargée de la vente de ce fonds de commerce. Devant la somme demandée, on pouvait faire quatre hypothèses :
Hypothèse 1 : nous renonçons à l’achat
Hypothèse 2 : nous signons pour le prix demandé. Il parait que certains le font
Hypothèse 3 : nous obtenons un rabais de 5% ; c’était courant
Hypothèse 4 : mon mari fait une offre à moins 30 %, évidemment refusée.
Élise était fort désappointée en sortant de la boutique. Adieu veau, vache, cochon, couvée ! Perrette avait perdu son lait et elle ses petites culottes. Elle me savait dur en affaire, mais pas à ce point-là.
Ne t’inquiète pas chérie, tu vas voir, elle va nous rappeler.
Et comme toujours, j’ai eu raison.
Une nouvelle vie allait pouvoir commencer.
Après la signature chez le notaire, j’avais posé quelques questions à notre vendeuse, notamment sur l’origine de ses dessous (pas les siens, ceux qu’elle vendait dans sa boutique). J’eus la stupeur d’apprendre qu’une partie était fabriquée par des carmélites de Montmartre. Je pensai aussitôt au Dialogue des carmélites et
imaginai ces braves sœurs qui allaient être guillotinées sous la Terreur réunies dans un atelier de couture dissimulé dans le couvent et dont l’accès était certainement interdit au jeune prêtre qui venait les confesser. Les carmélites vivaient de dons mais aussi de leur travail ; nous décidâmes Élise et moi de garder cette filière dont le coût horaire était plus que raisonnable.
Cette nouvelle occupation pour Élise repoussa à une date ultérieure le désir d’une descendance.

*

Mon cher Paul.
Dans ton dernier courriel tu me demandais si Élise travaillait. Figure-toi que nous venons d’acheter à sa demande une boutique de lingerie féminine qui, tu l’imagines, l’occupe à plein temps. Heureusement que nous avons gardé Firmin et Conchita. Élise a beaucoup de goût et je suis sûr qu’elle va réussir.
Je t’avoue que cela décale notre désir d’enfant, j’en souffre un peu, mais je veux tout faire pour son bonheur.
Depuis l’élection de notre président de la république qui fait tout pour attirer les capitaux étrangers, la France va mieux, le chômage recule, pourvu que cela dure.
Tu me parles de canadienne blonde ou brune ; as-tu pensé aux rousses.
Allez, je cesse de te taquiner.
Ton ami,
Pierre

*

Plusieurs mois se passèrent sans nouvelles de Paul. Avait-il été choqué par l’achat de Chez Dessous ?
A ce stade du récit, je m’aperçois que le mot de dessous est apparu déjà treize fois dans mon récit. Je ne voudrais pas laissé croire à une obsession chez moi par les dessous féminins, c’est juste un centre d’intérêt bien masculin très logique, stimulant, et je plains vraiment ceux qui ne prennent pas leur pied en regardant une femme bien culottée, passez-moi la légèreté de l’expression.
Cependant, pour lever toute ambiguïté, j’ai recherché un autre mot pour dessous. J’avais pensé à sur-peau, rejeté car trop brutal ; imaginez l’injonction « enlève ton sur-peau », non, pas possible. Mais j’ai trouvé : « vêtement de peau », c’est un peu plus long que dessous, cela se prononce avec délicatesse, et laisse toujours l’envie d’aller voir ce qu’il y a dessous. Donc je m’engage à ne plus utiliser le mot dessous, dans le sens des dessous, qu’ils soient pour les femmes ou pour les hommes, car il y en a aussi pour les hommes, sauf dans la raison sociale Chez Dessous, la changer coûterait trop chère et risquerait de troubler la clientèle traditionnelle.

Nous laissâmes passer deux années pendant lesquelles Elise assura la bonne marche de Chez Dessous. Cette activité était très accaparante, Elise rentrait à la maison épuisée, l’activité sexuelle de notre couple décroissait dangereusement, il était temps de nous ressaisir et nous décidâmes de faire comme tout le monde en procréant pour nous redonner un but commun.
Un an après naquit Gottlieb. Je ne vous cacherai pas que la recherche de ce prénom fut le résultat de discussions interminables entre Elise et moi. Nous étions bien d’accord qu’il fallait éviter les prénoms comme Pierre, Paul, Jacques ou Jean qui étaient datés. Le Net proposait un nombre impressionnant de prénoms, tellement impressionnant que le choix en était bien difficile. C’est finalement moi qui eut le dernier mot ; j’expliquai que Gottlieb voulait dire « qui aime Dieu » ; n’oubliez pas que j’avais rencontré Élise à l’église, elle ne put que s’incliner. J’étais ce faisant de mauvaise foi, c’est le cas de le dire, car à cette époque j’avais surtout foi en moi. Et puis, j’avais dans le temps fait un peu d’allemand, et je trouvais que Gottlieb, cela sonnait bien à l’oreille ; raison non avouée, je venais de recevoir de la ville de Berlin une commande très importante pour mon logiciel Circultrottoir, vive l’amitié franco-allemande.
Je profite de l’arrivée dans ce récit du mot foi pour quitter pour le moment le domaine bien terre à terre des vêtements de peau et vous parler des désaccords que nous avions mon ami Paul et moi en ce qui touche la religion.
Paul avait été séduit par Blaise Pascal et son pari que l’on peut résumer de façon simplificatrice en quelques mots : on a tout intérêt à faire le pari que Dieu existe et à se comporter en bon chrétien, s’assurant ainsi les portes du paradis, et s’il n’existe pas, tant pis, on aura au moins mené une vie bonne. Personnellement, ce pari avait quelque chose d’intéressé qui me rebutait. Par contre, j’aimais bien Pascal quand il écrivait : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange, fait la bête ». Mais je trouvais justement que c’était trop bête de voir Paul influencé à ce point par le jansénisme de Pascal et mener sa vie de célibataire de laquelle il ne voulait pas sortir, comme si se marier l’empêcherait d’être pleinement dévoué à ses élèves et de pratiquer l’aumône comme il le faisait journellement. De son côté, il ne manquait pas de me reprocher mon attrait bestial pour les vêtements de peau, mais sans cet attrait, comment aurais-je pu apprécier le travail de ma chère épouse.
Si vous me demandiez qu’elle était ma religion à moi, je vous répondrais qu’aucune religion ne me paraissait parfaite, ni surtout pas la religion catholique avec sa prétention d’être la seule valable. En fait, mes quelques croyances provenaient de petites pioches que je faisais à droite et à gauche (ce que certains appellent le syncrétisme) ; aimez-vous les uns les autres, comment ne pas y souscrire ? Mais croire en un Dieu en trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit m’a toujours semblé une construction bien intellectuelle ; et l’histoire de l’église catholique, avec ses accumulations de richesses, scandales des indulgences, des prêtres pédophiles, position de la femme, pousseraient plus à la pratique d’une religion sans intermédiaire, si tant est que je voulusse pratiquer, ce qui n’était plus mon cas. Quant au bouddhisme, dont l’aspect zen pouvait être tentant, son idée que la souffrance pouvait disparaître par la diminution des désirs, je pensais qu’il méconnaissait l’amélioration des conditions de vie apportée par les progrès techniques ; créer des besoins nouveaux était un bon moteur de la croissance, il n’y avait rien de mauvais à cela. C’est d’ailleurs à cela que je m’employais dans mon entreprise. Vous avez deviné que ce genre d’arguments faisait monter Paul sur ses grands chevaux ; Paul croyait toujours au diable, à un Dieu bon (malgré la souffrance si répandue dans le monde) et se rendait régulièrement à la messe le dimanche ; je crois même qu’il continuait à se confesser. Mais je respectais sa foi, tout en me disant qu’il n’avait pas su se débarrasser d’une éducation religieuse bien dépassée.
De la religion, nous parlions de temps en temps dans nos courriels :
Mon cher Paul.
Je ne sais pas si le bruit est parvenu jusqu’à vous : le pape envisage de béatifier ton Blaise Pascal ! Alors là, il pousse un peu loin le bouchon. Un pape jésuite qui béatifierait un ennemi juré des jésuites ! Béatifier ce maniaco-dépressif ! Je crois savoir que sa vie n’a pas toujours été exemplaire : sais-tu qu’il avait voulu déshériter sa sœur Jacqueline qui voulait donner sa part en entrant à Port Royal de Paris ?
Pour moi, je retiens surtout que Pascal fut un grand savant, précoce en plus. Dis-moi ce que tu en penses,
Ton ami,
Pierre

En rédigeant ce mail, je savais que Paul allait bondir ; ce n’était pas la première fois que je le provoquais, et ce ne serait certainement pas la dernière. En fait, c’était une sorte de jeu entre nous.
La réponse de Paul ne se fit pas attendre :
Mon cher Pierre.
Eh bien, tu n’as pas changé !
Oui, je suis au courant pour le projet de béatification de Blaise et espère bien qu’il aboutira. Je n’ai pas l’intention de faire ici un résumé de l’œuvre morale, religieuse et charitable de celui que tu nommes mon Blaise Pascal, œuvre que tu as étudiée il y a quelques années en même temps que moi. Ceci étant, je reconnais son caractère instable, mais juge-t-on quelqu’un sur son caractère ou sur son action ?
Si tu as un peu de temps, relis donc ses Pensées.
Sans rancune
Ton ami,
Paul

Je me suis bien gardé de relire ces Pensées.

*

Chez Dessous : boutique de vêtements de peau
Blaise Pascal : 1620-1662 Invente une machine arithmétique, grand mathématicien, maniaco-dépressif ?, janséniste, moraliste, ennemi des jésuites…

Syncrétisme : art de piocher dans les religions ce qui vous plait pour se faire sa propre religion

*
Les années passèrent dans une apparente tranquillité. Gottlieb travaillait bien, mes affaires prospéraient, le chiffre d'affaire de Chez dessous croissait régulièrement chaque année.
Le hasard a voulu, mais est-ce vraiment le hasard, qu'une boutique de dessous masculins s'installe juste à côté du commerce de mon épouse. Je ne sais qui le premier a franchi la porte de la boutique voisine. Je pense que l'homme a dû rendre visite à Élise pour prendre ses conseils. Peut-être a-t-il eu besoin d'acheter des dessous pour son épouse. A-t-il demandé à Élise de les porter pour voir l'effet qu'ils produisaient. Ce qui est sûr, c'est qu'il a dû prendre goût à ses achats fréquents et aux charmes d’Élise.
J'ai vraiment été sonné quand mon épouse a demandé le divorce. Ce fut pour moi le début de la descente aux enfers. Je n'étais pas fait pour vivre seul. Mes performances au boulot s'en ressentirent, le placard n'était pas loin. Et en plus Gottlieb me quittait pour entrer au séminaire.
C'est Firmin qui me sauva la vie, il avait senti l'odeur du gaz s'échappant de la cuisine. Sur l'avis de mon médecin traitant, je fus interné dans la clinique psychiatrique, celle où Paul avait aussi séjourné.

*
Prévenu par Firmin, Paul est venu me voir.
Je sortis de la clinique et descendis vers le banc sur lequel Paul, déjà assis m’attendait.
Mon ami avait bien vieilli, mais je l’ai reconnu de suite ; je lui demandai d’une voix qui dût lui sembler bougonne :
Qu’est-ce que tu veux ?
Je voulais savoir : pourquoi es-tu dans cette clinique ?
C’est mon problème.
Nous restâmes murés dans un mutisme impressionnant jusqu’à ce que Paul me dise :
Bon, je repasse demain même heure ?
Si tu veux
Le lendemain, j’attendais Paul. A peine arrivé, je lui demandais :
Tu connaissais Élise ?
Non pourquoi ?

De nouveau mon mutisme qui dût lui sembler intolérable.
Les jours qui suivirent je me mis à lui parler de ma femme Élise. Je lui décrit avec mes mots maladroits ma première rencontre avec elle en terminale, nos premiers baisers, notre mariage, auquel il n’avait pu venir, les années de grand bonheur, la naissance de Gottlieb. J’allais même jusqu’à lui raconter la fois où elle avait été draguée jeune fille en été par un certain Paul, c’est drôle, le même prénom que lui. Et c’est là que Paul m’interrompit :
Paul, c’était moi.
Bien sûr, je le savais. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre, et nous avons pleuré, pleuré comme des hommes abandonnés savent le faire.
Puis Paul me dit :
Tu sais Pierre, ce qui t’est arrivé, tu devrais l’écrire, je pourrais même t’aider, si tu le veux ; écrire fait repartir.
wall
Envoyé le :  14/2/2020 1:11
Plume d'or
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De: montreal
Envois: 1458
Re: Le roman de Pierre et Paul
C'est assez triste ce partage mais j'ai lu jusqu'au bout mais vous dire merci que c'est beau un homme qui ouvre son cœur, juste je n'ai pas retrouvé ni en Paul ni en vous pourquoi aimiez vous cette femme,
je m'exprime peut être mal ce qui m'a manqué, comment vous a t'elle aimé ce qu'elle vous a donné comme amour.
Mais j'ai adoré encore encore merci du partage merci mes amitiés


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Berny
Envoyé le :  14/2/2020 9:20
Plume d'argent
Inscrit le: 11/8/2019
De:
Envois: 347
Re: Le roman de Pierre et Paul
Bonjour
Merci pour ce commentaire dont je tiendrai compte dans une nouvelle version
Bonne journée
Berny

PS : histoire imaginaire
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