Braises obscures …L’intelligence à l’état ignorant
Les langues embrasées du bouquet des flammes jaillissent des étuves fiévreuses, dévorant le relief des bûches du bois, bourreau qui nourrit sa brûlure mythomane, cramant ainsi de ses braises la chair de son propre martyr.
La furie fervente des flammèches qui bondissent des brandons lèchent les tortillons des pailles sacrifiées en offrande, pour alimenter le feu qui immole ses os inhumés sous ses propres cendres.
Le jet des chaleurs zélées consume les troncs des rondins fondus dans la fumée blanche, illuminée par la cire gaspillée généreusement à l’âtre, pour voir de ses propres yeux l’écoulement des torches éthérées, dans une scène de charbon audible qui annonce le manifeste de son proche obscurité.
C’est l'histoire de la bougie qui souffre pour éclairer la nature autour, elle se meurt dans sa lumière en semant la vue et la vie. C'est le même procès pour le savoir, sauf que la connaissance est abstraite, et donc improbable chez l’esprit humain qui n’admet que l’aspect physique et n’absorbe que les sujets matériellement palpables. Combien même elle soit un élément vital pour concevoir et mener une existence, la connaissance reste une richesse conceptuelle jamais exploitée à sa juste valeur.
Ainsi, les hommes se consument depuis toujours, exactement comme la bougie qui fane en faisant mine d’exister, et le bois qui crève sous le feu en se pensant porteur de lumière, de chaleur et donc de vie. L’évolution humaine s’appuie toujours sur les dépenses de soi-même, de son entourage, et de la nature autour, pour s’étendre dans le quotidien et s’infiltrer dans les comportements des gens. Les hommes se meurent et renaissent de leurs cendres. Ils progressent à travers des civilisations qui se succèdent tout en détruisant l’entité de l’échantillon humain, et en polluant l’espace et les éléments nécessaires à sa continuation. Le bien est un don que les hommes négligent, ils s'obstinent à se partager le mal, non pas par imprudence, mais c'est bien pour subvenir au besoin d'un fantasme sadique, et se délecter d'une jouissance fanatique et égoïste. A force d'oublier le bien, un jour proche il n'y aura que du mal, que des cendres, de l'ignorance et de l'obscurité.
Au lieu d'avancer dans la vie, les hommes gaspillent leurs efforts en reculant dans une descente aux enfers irréversible. Ils s’entretuent et se rejettent, ils se haïssent et se refusent. Ils s’anéantissent et ils s’annihilent, tout à fait comme les flammes qui dévorent les ronces empaillées de leurs corps, en se nourrissant de l’énergie de l’essence de leur propre imperfection. L'intelligence humaine est destructive, elle est masochiste, pareille à celle de la bougie qui se tue, croyant vaincre le noir de sa lumière qui n'est qu’éphémère, et ne mesure que la durée brève de son étincellement.
Difficile de se mettre à la place de la bougie, il est plus aisé de l'observer et de la décrire de loin. Difficile de comprendre que le bois incendié est le bourreau pyromane de sa propre victime.
Friedrich Nietzsche, philosophe et poète Allemand, décrivit ce phénomène de démolition réfléchie en écrivant que « la démence est rare chez les individus, elle est la règle en revanche dans un groupe, un parti, un peuple, une époque ». Il compare censément ce dommage à une autodestruction invisible à l’échelle de l’individu, mais assez apparente au niveau de la collectivité. Il voit que la démence de l’un est souvent mal supportée par les autres qui l’assistent, concluant ainsi que c’est toujours le groupe qui subit les affres des récidives commises individuellement. « Souviens-toi d’oublier », dit le même penseur par ailleurs, un célèbre dicton sombre, pour exprimer son désarroi et son inaptitude à fournir des réponses concrètes à cette démence qui prend l’ampleur d’une réalité reconnue et admise comme un comportement naturel.
Cependant, la démence est une pathologie inconsciente, éventuellement curable par la thérapie scientifique et la purification cultuelle, les actes délibérément irresponsables ne peuvent avoir ce cas de difformité pour justifier une obsession dévastatrice collective, dont l'origine est un ensemble de tentations malsaines, purement individuelles et gauchement égoïstes. Attester que l’effacement systématique de la vie par l’homme lui-même soit une folie collective serait une appréhension vraiment plate, inadmissible pour le gracier d’un délit intolérable qui ne mérite aucune excuse ni aucune défense.
Le développement technologique des temps modernes a vivement accéléré la dévastation de l’homme de sa propre personne. Les hommes meurent de famine, de maladies, de guerres et de violences causées par d’autres hommes. Les moyens techniques avancés en matière de communication permettent désormais à l’homme d’assister instantanément aux faits de son propre suicide.
Abdelkader Guerine.
