Tous… pas exactement …

Hervé , qui jusque -là avait suivi l’affaire de manière distante … devant l’espèce d’oubli dont Linda était le malheureux objet , et qui ressemblait fort à un bannissement, se mit à gamberger…

Il médita l’histoire et se dit qu’une petite visite de sa part ne pourrait pas être refusée par la malchanceuse victime d’un sort peu enviable…

Comme les autres il était loin de se douter qu’un Sort avait été jeté qui diminuait ostensiblement sa condisciple…
Il se rendit chez elle où il fut reçu très cordialement…

Elle lui adressa un faible sourire… le premier depuis de longs jours… Mais ne parla pas…
Il n’était pas bavard non plus…
Plutôt technique avec le numérique, joueur impénitent sur l’informatique …
C’était un jeune homme digital mais pas poète pour un sou…

Il resta là à la contempler… Se rendit compte à quel point la maladie pouvait paradoxalement la rendre encore plus jolie…
Il s’en voulut un peu de ne pas lui avoir consacré plus de temps pendant qu’elle était valide…

Maintenant il apprit par ses parents, qu’elle allait être hospitalisée dans une clinique où elle recevrait des soins psychothérapiques , qui , il fallait l’espérer, allaient la requinquer…
Au ton désabusé de l’annonce Hervé Torride comprit qu’il ne fallait guère compter là-dessus…

Escompter une amélioration relevait du défi le plus pur…

La langueur persistait… la dépression se durcissait…
Maintenant elle ne souriait plus ne parlait plus… Du tout ... Du tout...
A la clinique
on se demandait comment mettre en place une cure alors qu’elle commençait à perdre du poids …

Imperturbablement, Hervé venait la voir …
Cela semblait un peu ralentir le processus mortifère, et comme il ne savait que faire pendant sa présence, il eut l’idée de lire « l’éducation sentimentale » de Gustave Flaubert… La rondeur des phrases , la beauté du texte parvenaient à rendre sa lecture agréable …

Les yeux de Linda mornes et détachés parvenaient par de courts instants à exprimer de la reconnaissance…

Pendant ce temps-là Gilbert jubilait … Il allait dans les bars à la rencontre d’amis, avait chamboulé ses habitudes vestimentaires et bazardé sa vieille voiture …
Même était–il parvenu pour la première fois à coucher avec un laideron consacrée comme la "salope du lycée" , qu’il n’avait pas eu de mal à décrocher …
Elle lui avait fait découvrir la somme des petites gâteries auxquelles un homme digne de ce nom avait droit…

Sa mère avait beau s’emporter et sangloter …il s’en fichait le plus royalement… Au diable la vieille… !!!

Mars passait … le printemps commençait à fleurir et aucune amélioration n’était perceptible… Linda dépérissait à vue d’œil et son légendaire pouvoir d’attraction semblait bien lui aussi devoir s’être annihilé …
Pourtant Hervé s’obstinait et la lecture continuait… page après page…la chaleur de sa voix résonnait dans cette chambre spectrale…

Un soir il alla voir sa vieille tante Olga qui l’avait invité à un intime souper en tête-à-tête … Elle n’avait pas d’enfants… Elle l’aimait beaucoup car c’était son unique neveu et pour l’occasion elle avait mis les petits plats dans les grands… Comme on a coutume de dire…

On mangea de la langouste, du rôti de veau et pour le dessert un splendide vacherin…

La discussion tomba évidemment sur Linda…

« Pourquoi n’irais-tu pas voir le vieil Arnold ??? lui suggéra la tante…
« Qui c’est celui-là ??? »
« Je ne peux te le dire lança la tante mystérieuse… mais je t’en prie…. » Elle se leva … alla chercher les coordonnées du bonhomme et les remit à celui qu’elle considérait comme son héritier…

Il les prit, dubitatif et dut promettre de faire ce qu’elle recommandait
« Il faut le contacter avant trois jours »
précisa-t-elle … « Sinon… »
« Sinon quoi ??? »
« Sinon ton amie mourra et toi avec… » fit-elle avec ses petits yeux gris qui semblaient pouvoir aller jusqu’au tréfonds de l’âme…

Il sentait qu’elle ne plaisantait pas… Il comprit que quelque chose de terriblement complexe le dépassait… Il eut peur…

Le reste du repas se passa dans un silence total… Ils burent un digestif et regardèrent un programme débile à la télé…
Il rentra chez lui à pied complètement ébranlé… et très alarmé…

Le lendemain il prit contact avec le fameux Arnold…
Il se rendit chez lui grâce à un copain…
Il habitait au fin fond de la forêt de Rambouillet dans une espèce de masure qui semblait dater d’un autre âge…
Il était passé plusieurs fois à cet endroit et n’avait pas remarqué cette construction totalement atypique…

Il n’y avait qu’une seule pièce et un bric-à-brac indescriptible… On se serait cru dans l’antre d’un alchimiste…
Le vieil Arnold ,qui malgré son grand âge, semblait tenir une forme d’enfer lui fit goûter son meilleur poiré…

« Quis qui t'amenn mon gars ??? » fit-il décontracté…
Ils parlèrent de la vieille tante qui était, il le comprit très vite, une très chère amie du vieillard …
Pendant la conversation Hervé fut frappé par la qualité lumineuse du regard de son interlocuteur… Il était presque entièrement édenté et ses cheveux longs , blancs et raides lui donnaient l’air d’un vieux barde breton…
Des pantoufles aux pieds et un vieux jean élimé terminaient de donner un aspect approximatif du personnage…

Il s’était assis sur une sorte de rocking-chair et avait laissé à Hervé un bout de banc près d’une table crasseuse couverte d’objets disparates….
Ils en vinrent à évoquer le cas de Linda…
Là tout changea …L’aspect du patriarche devint sombre …sa voix n’était presque plus qu’un murmure :
« Elle a été envoûtée …finit-il par lâcher…

Hervé tomba des nues… et protesta contre cette ineptie…
Mais le vioque s’emporta !!!
« Je sais… Vous les jeunes vous n’y croyez pas … Mais même je vais te dire une chose que tu ne m’as pas dite… »
Ainsi Arnold lui fournit une information qui n’avait été évoquée…
« Tu l’as aidée à tenir en lui lisant un livre… Sans toi elle serait morte… et je vas te dire pourquouai… »
« Pourquoi ??? » S’empressa de demander Hervé
« Eh ben fit le vieux …mystérieux… Parce que c’est un vieux poème venu d’un ancien grimoire qui l’a basculée dans cet état là !!! »

« Mais il faut la désenvoûter !!! » jeta Hervé presque malgré lui…
« Tu l’as dit petiot… mais ça va pas être facile… »

Il se racla la gorge puis continua…
« Dimanche prochain c’est le Dimanche de Pâques … Tu sais ça a une signification spéciale pour les chrétiens… »

Il cracha par terre et précisa : « Moi je suis pas chrétien !!!»

Hervé ne sut jamais si ce crachat correspondait à un rejet des chrétiens ou à un besoin pressent…
« Ce jour-là il faudra qu’elle reçoive un authentique je dis bien… un authentique baiser d’amour… Ya que ça qui peut la sauver… »
« Mais qui peut lui donner ??? Y en a plein qui la désirent mais l’aimer c’est une autre affaire… » rétorqua Hervé…

« Débrouille toi mon gars … Toi ou un autre mais il faut que ça soit du vrai…sinon tout est fichu… Maintenant tu peux te tirer »
Il semblait complètement épuisé par ce qu’il avait dit et il se rendit vers la porte pour accompagner son visiteur…

C’est alors qu’Hervé remarqua qu’il y avait dans la cahute un grand chien noir genre Rottweiler qui le regarda partir…

Il rejoignit l’automobile où son pote l’avait attendu avec patience…
Pendant la route de retour ils n’échangèrent pas un mot…
Hervé le regardait à la dérobée en se demandant s’il serait le candidat idéal pour la situation puis pendant tout le reste du chemin il s’assoupit… Comme pris dans un rêve étrange…

Le matin du Dimanche de Pâques il ne savait toujours pas à qui s’adresser et il décida de se rendre auprès de Linda…
Il se dit qu’il y aurait toute la famille autour d’elle et qu’il allait avoir l’air fin à ne pas savoir quoi raconter à tous ces gens…

Mais curieusement il se trouva seul dans la chambre de Linda…
Un immense bouquet avait été déposé…et trônait sur une table…

Une aide-soignante expliqua que tous étaient passés le plus tôt possible car ils avaient décidé de passer la journée au grand air et ne revenir que le soir… Il est vrai que c’était un jour presque estival…
Il s’assit… Il n’avait pas apporté de livre ce jour-là…

Elle était dans un état catatonique ayant à peine remarqué sa présence… Il se dit que c’était aussi pour ça que son entourage n’était pas resté… Ils supportaient mal son absence… psychique...

Il se détendit et la regarda en silence… Il pensa aux contes de son enfance… Blanche-Neige … la Belle au bois dormant… Il croyait avoir tout relégué derrière ses jeux-video incroyables, mais tout lui revenait en un songe émouvant…
Alors pris par une impulsion dont il n’aurait su donner l’origine il se leva et posa sur les lèvres froides le plus beau baiser dont il fut capable…
Ses larmes baignèrent le visage de Linda … Puis il se rassit et attendit…

Au bout d’un long moment… elle eut une réaction…
« Tu es un ange… murmura-t-elle… Tu viens de me sauver… Un cœur nouveau habite ma poitrine… Le tien… »
Elle se leva posément se tint droite devant lui et lui demanda de la prendre dans ses bras … Ce qu’il fit avec un amour infini…
Trois jours plus tard elle reprenait le lycée … En compagnie de celui dont l’amour l’avait sauvée…

Mais il y avait un absent dans la classe … Un certain Gilbert Trémal qui était en train de dépérir chez lui , dans une atroce torpeur…devant sa chère maman qui l’adorait…

FIN