Au cours d’un récent séjour à Barcelone, tout juste après les attentats meurtriers de Paris, en compagnie de mon épouse, je visitais le musée national d’art de Catalogne qui se trouve à flanc de la colline dominant la place d’Espagne. Je venais d’admirer les peintures et sculptures provenant des églises romanes des Pyrénées catalans. C’était un moment d’émotion incroyable. Après avoir admiré les galeries d’art contemporain, nous prenons l’ascenseur qui se situe sous une coupole impressionnante, nous sommes rejoints dans la cabine par un couple d’un certain âge : la femme s’aide d’une canne. En nous entendant parler en Français, ils nous interpellent ; ils sont canadiens et aiment rencontrer des gens pendant leurs voyages.
Arrivés au rez- de- chaussée, nous poursuivons la conversation ; Serge donne encore des cours dans une université, son épouse était physiothérapeute. En apprenant ma profession, le sujet de la langue française les anime avec passion ; ils sont très fiers de me citer de nombreux exemples d’expressions qui pour eux sont plus expressives que les nôtres, notamment le mot congère leur semble moins approprié que « banc de neige » pour désigner un amas de neige soufflée par le vent. La querelle linguistique pourrait peut-être déraper, mais il n’en est rien ; ils sont fiers d’avoir conservé cette langue sur le sol nord américain, et déplorent qu’en France on ne la défende pas assez et qu’on ait laissé s’installer des expressions étrangères comme mail pour courriel, ou encore un jargon dénaturant la langue de Molière.
Après un long moment, je signale que nous devons partir pour la fondation Miro qui se trouve un peu plus haut, c’est aussi leur intention ; nous cheminons ensemble, en prenant les escalators, ou plutôt les escaliers mobiles, jusqu’au stade construit pour les jeux olympiques de 1992 ; le soir un concert de Madonna est prévu au Palau San Jordi, l’enceinte sportive et culturelle sur la colline de Montjuïc ; les teeshirts à l’effigie de la star sont proposés à la vente. Nous arrivons à la fondation Miro, nous prenons les billets ; Serge et sa femme feront leur visite avec des audio-guides, nous nous séparons.
L’emplacement de ce musĂ©e est très agrĂ©able, sa conception rappelle Ă©videmment la fondation Maeght de Saint Paul de Vence, car leur architecte, Josep LluĂs Sert est le mĂŞme ; les espaces mettent en valeur la collection de ce musĂ©e qui est impressionnante. Dans un ascenseur, une deuxième fois, je suis interpelĂ© par un homme jeune, qui me demande ce que je pense de cet art. Il est amĂ©ricain d’origine malaisienne, a Ă©tudiĂ© Ă Tour et Ă Lausanne et parle assez bien le français. Je lui confesse que de formation très classique, je suis moins sensible Ă cette expression dont les objectifs politiques sont proches de ceux de Breton et de son manifeste du surrĂ©alisme, toutefois l’utilisation qu’il fait de la couleur me provoque une Ă©motion physique intense. Il me fait remarquer que c’est le propre de l’artiste que d’être engagĂ© etc… mais qu’il est un peu comme moi vis-Ă -vis de ces Ĺ“uvres qui riment magnifiquement avec celles des AmĂ©ricains Rothko et Newman.
Pierre-Louis SESTIER
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