Plume de satin Inscrit le: 20/3/2015 De: Envois: 33 |
Il est certains esprits Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne le saurait percer. Avant donc que d'écrire, apprenez à penser. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Surtout qu'en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain, vous me frappez d'un son mélodieux, Si le terme est impropre ou le tour vicieux : Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme, Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme. Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d'une folle vitesse : Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d'esprit que peu de jugement. J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène, Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. [...]
Mais le monde ici bas préfère la bêtise La faute, l’ignorance à la rime précise ; Qui pourrait les blâmer dès lors que leur esprit Préfère le brouillon à l’élégant écrit ? Pourquoi parler d’un ru dès lors qu’une rivière De mots frais et de sens apporte la lumière Aux yeux de tout lecteur s’il ne mélange pas Le mot juste au forfait, la vie et le trépas ! Corrigez donc sans cesse, un poème honorable Veut ignorer l’emploi d’un verbe misérable ; Mais certains croient toucher la gloire, les hauteurs, Grâce aux beaux compliments de délicats lecteurs
Vous désirez, un jour, vous asseoir au Parnasse A votre langue, lors, mettez une cuirasse Que nul ne puisse nuire à ses mots si jolis ; Et n’écrivez jamais comme ces impolis Honorant l’orthographe après l’indifférence, Ayant pour le Français si peu de déférence ! Si vous réfléchissez avant d’être écrivain Votre effort, sachez-le, ne sera jamais vain ; Comprenez donc qu’il faille écrire clairement, Ce qui se conçoit bien se compose aisément.
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