Sa prothèse s'élance, elle sourit....
Elle ne voit même plus la piste. Le souffle court, elle tente de trouver le petit interstice ridicule qui lui permet de respirer quelques bouffées de cet air lourd du matin. Son père l’avait prévenue : il était presqu’impensable de réussir à s’entraîner en burqa. Mais elle veut y croire. Elle s’obstine, continue, les yeux rivés sur ce qui lui semble être un pan de ciel, entre montagnes et espérances. Elle pense à Malala, son amie d’enfance. Elle se souvient du rire de la jeune fille, lorsqu’elles lisaient ensemble, le soir, après le retour au village, ces revues interdites, pleines de robes et de couleurs.
Ils sont là , au bout du chemin. Ils hurlent et l’invectivent, parlent d’Allah et de Charria, la menacent, la bousculent, lui montrent des pierres, leurs muscles et leur haine farouche du corps des femmes. Elle se tait, elle baisse la tête, elle bat sa coulpe, elle se fait ombre parmi les ombres de la montagne, elle se fait pierre parmi les pierres sombres du chemin, elle se fait grise sous sa robe informe qui cache son visage de princesse, ses seins de jeune femme et ses jambes prêtes à courir jusqu’au soleil.
Le soir, elle ose enfin trembler, pleurer, hurler en silence. Mais elle ne baissera pas les bras. Voilà des années qu’elle s’entraîne, qu’elle court, matin et soir, malgré la terreur, malgré la douleur. Cette nuit-là , à nouveau, elle rêve à Malala, à l’attentat, au sang qui a éclaboussé leurs innocences. Elle se réveille au chant du coq, sourit à sa mère et à son jeune frère, aveugle, qui a perdu la vue lors de leur accident. L’avion décollera dans deux jours, elle sera prête.
Elle est dans les vestiaires, seule. Tant de choses à voir, à découvrir, les sons de la liberté, les lumières de la vie. Malala est venue, et ensemble, elles ont ri à Scotchi. Elle se regarde dans le miroir, et, en un ultime défi, elle ôte, pour la première fois, sa burqa. Elle va courir en short, comme ses camarades.
Lorsqu’elle se positionne sur la piste, elle lève les yeux vers les gradins. Elle voit Malala, elle voit son père, elle voit un pays et des femmes fières, qui n’attendent que la liberté. Elle lève le poing vers le triomphe, elle fait le « V » de cette victoire sur les Talibans. Sa prothèse s’élance, elle sourit.
-petit texte écrit pour un concours. Thème: "Athlettres"...
Sabine Aussenac
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Lou, aux nuits rossignol...
