L’incroyable information se répandit comme une traînée de poudre. Elle enfla, devint insistante et petit à petit, les gens commencèrent à y croire. Elle devint le sujet des conversations dans les cafés, les restaurants, les lieux de travail, les salles d’attente, chez les coiffeurs, aux hammams et partout où deux ou plusieurs personnes étaient réunies. Les chauffeurs de taxis en firent leur sujet favori et même les mendiants, qui pullulent chez nous, s’aventurèrent à donner leur avis sur la véracité de cette rumeur et à la commenter.
Tout le monde s’est mis à suivre avec attention et régularité les bulletins d’information à la radio et à la télévision pour avoir une confirmation (ou une infirmation) de cette nouvelle, sans aucun résultat. Les ventes des quotidiens connurent une augmentation sensible et dès les premières heures de la journée, les kiosques et les vendeurs ambulants de journaux étaient assaillis par une foule avide d’en connaître plus et de vérifier le bien fondé de cette information. De petits groupes de gens qui ne se connaissaient pas se formaient chaque matin autour du vendeur de journaux du coin pour commenter cette extraordinaire nouvelle, chacun y allant de son grain de sel.
Les unes et manchettes des quotidiens furent exclusivement consacrées, durant des semaines, à la nouvelle. Les caractères des unes devinrent énormes, visibles de loin et colorées pour attirer le plus de lecteurs. Chaque jour apportait son lot de nouvelles révélations et de nouveaux commentaires, généralement démentis où tout simplement oubliés le lendemain. Cela ressemblait à un feu attisé chaque jour par de nouvelles braises !
Toutefois, malgré l’inhabituelle agitation provoquée par cette rumeur persistante, les autorités ne publièrent aucun démenti à son sujet. La radio et la télévision officielles restèrent muettes à son sujet. D’après certaines sources impossibles à vérifier, il paraît qu’on hésitait en haut lieu entre laisser les choses se tasser d’elles mêmes et produire un communiqué officiel. Plusieurs hauts responsables multiplièrent les démarches auprès de leurs supérieurs pour s’assurer de la véracité de cette information mais ne reçurent aucune réponse sûre et définitive. Les mauvaises langues prétendirent même que se sont les autorités elles-mêmes qui en étaient à l’origine pour occuper le peuple et faire passer certaines mesures et décisions impopulaires !
En fait, il était quasiment impossible d’en vérifier l’origine, le bien fondé et la portée. Elle a ainsi inquiété, bouleversé et occupé l’esprit de la population des jours durant. Dès les premiers jours, elle s’est étendue, colportée par des gens avides de sensationnel, à tout le pays et même au-delà ! Certains médias étrangers, par souci de primauté (de scoop comme on dit dans le jargon journalistique), pour se distinguer des autres ou bien peut être pour faire un mauvais coup aux autorités, se sont empressés de la relayer, certains parmi eux allant même jusqu’à faire appel à des spécialistes pour la commenter largement.
La population autochtone, devant l’absence d’informations locales, se tourna alors vers les radios étrangères et les chaînes satellitaires pour assouvir son désir d’information. La vente des décodeurs et des antennes paraboliques connut une hausse vertigineuse en quelques jours et les commerçant s’en félicitèrent, certains allant même jusqu’à étoffer la rumeur, l’enrober et l’embellir pour attiser la curiosité et inciter les sceptiques à se doter au plus vite de matériel adéquat pour suivre de près l’évolution de la situation !
Telle une bulle gigantesque, la rumeur enfla tellement qu’elle en devint inquiétante. Les gens commencèrent à paniquer et certains eurent peur des conséquences éventuelles de cet état des choses. Un climat malsain s’installa et des accusations non fondées furent émises à l’encontre de certains dirigeants politiques et syndicaux. Les escarmouches verbales par presse interposée, devinrent le lot quotidien des politiciens de la majorité gouvernementale et de ceux de l’opposition. On était au bord de l’émeute et la situation menaça de dégénérer en batailles rangées des deux camps. Les réunions se multiplièrent au sein des bureaux dirigeants des formations politiques et syndicales pour essayer de calmer les ardeurs et des communiqués exhortant les militants à garder leur sang froid et le gouvernement à clarifier la situation, furent publiés.
Puis, environ un mois après l’apparition de la rumeur, un communiqué laconique fut lu à la radio tard dans la nuit par le porte parole du gouvernement. Il en ressortait que cette information était dénuée de tout fondement et qu’elle a été véhiculée par des personnes mal intentionnées dans le but de semer la zizanie, de perturber la quiétude de la population et de nuire aux efforts déployés par le gouvernement dans tous les domaines.
La vérité établie, l’énorme bulle éclata et disparut sans bruit comme un mirage. La vie reprit son rythme normal, monotone et ennuyeux. Les discussions passionnées disparurent laissant la place aux éternels commentaires sur les feuilletons télé débiles de la veille et des matchs de football du dimanche précédant et de celui à venir. Les ventes des quotidiens revinrent à leur niveau normal et les boutiques des vendeurs de paraboles furent désertées ! Toutefois, beaucoup de gens regrettèrent la fin de la situation d’incertitude qui permettait de nourrir les discussions et d’émettre les plus folles hypothèses. On ne sut jamais l’origine de cette rumeur qui s’évanouit dans l’oubli aussi soudainement qu’elle était apparue.
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Pouvoir, c'est vouloir