A Lamartine :
"Je te consacre Mireille : c'est mon coeur et mon âme
"C'est la fleur de mes années
"C'est un raisin de Crau
"Qu'avec toutes ses feuilles
"T'offre un paysan
(Frédéric Mistral - 1830/1914)
Je chante une jeune fille de Provence
Dans les amours de sa jeunesse.
A travers la Crau, vers la mer, dans les blés,
Humble écolier du grand Homère,
Je veux la suivre. Comme c'était
Seulement une fille de la glèbe,
En dehors de la Crau il s'en est peu parlé.
Bien que son front ne resplendît
Que de jeunesse, bien qu'elle n'eût
Ni diadème d'or ni manteau de Damas,
Je veux qu'en gloire elle soit élevée
Comme une reine, et caressée
Par notre langue méprisée,
Car nous ne chantons que pour vous,
O pâtres et habitants des mas.
Vincent n'avait pas encore seize ans ;
Mais, tant de corps que de visage,
C'était, certes, un beau gars, et des mieux découplés,
Aux joues assez brunes,
En vérité. Mais terre noirâtre
Toujours apporte bon froment,
Et sort des raisons noirs un vin qui fait danser.
Mireille était dans ses quinze ans..
Côte bleue de Font-Vieille,
Et vous, collines Baussenques, et vous, plaines de Crau,
Vous n'en avez plus vu d'aussi belle !
Le gai soleil l'avait éclose ;
Et frais, ingénu,
Son visage, Ã fleur de joues, avait deux fossettes.
Et son regard était une rosée
Qui dissipait toute douleur...
Des étoiles moins doux est le rayon, et moins pur ;
Il lui brillait de noires tresses
Qui tout le long formaient des boucles ;
Et sa poitrine arrondie
Etait une pêche double et pas encore bien mûre.
Et folâtre, et sémillante,
Et sauvage quelque peu !...
Ah ! dans un verre d'eau, en voyant cette grâce,
Toute à la fois vous l'eussiez bue !
.....
Chantez, chantez, magnanarelles !
Car la cueillette aime les chants.
Beaux sont les vers à soie,
Et ils s'endorment de leur troisième somme ;
Les mûriers sont pleins de jeunes filles
Que le beau temps rend alertes et gaies,
Telles qu'un essaim de blondes abeilles
Qui dérobent leur miel aux romarins des champs pierreux.
En défeuillant vos rameaux,
Chantez, chantez, magnanarelles !...
Ainsi les beaux enfants, de l'arbre feuillu
Cachés sous la ramée,
Dans l'innocence de leur âge
S'essayaient à l'amour.
Les crêtes, cependant, de moins en moins étaient brumeuses.
Toi qui gazouilles dans ton lit, va lentement,
Va lentement, petit ruisseau !
Parmi tes galets sonores ne fais pas tant de bruit, car les deux âmes
Sont, dans le même rayon de feu,
Parties comme une ruche qui essaime...
Laissez-les se perdre dans les airs pleins d'étoiles !
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Ouvrez l'oreille, chaque mot possède un coeur qui bouge. (Nimier)