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     Le cĂ©lèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)
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Expéditeur Conversation
Abdelkader
Envoyé le :  29/5/2011 0:18
Plume de platine
Inscrit le: 31/12/2006
De: Chlef / Algérie
Envois: 7615
Le célèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)
-« La diligence vers Ténès est retardée pour quelques heures à cause de cet incident fâcheux. Une occasion pour moi de savoir encore plus sur ce personnage mystérieux qui terrorise l’armée française et les milices des caïds », dit Alexander en poursuivant, « Qui est Bou Ar’Aara ? »
-« Il s’appelle Maamar Harchaoui, dit Bou Ar’Aara, les français préfèrent le nommer Mamar car il leur est difficile de prononcer le AA de son surnom, une lettre qu’il faut avaler puis rouler dans sa gorge avant d’expédier le son vers l’extérieur par sa bouche béate ». Répondis je à mon compagnon en regardant des deux cotés, ayant peur des murs qui peuvent avoir de grandes oreilles.
-« Que veut dire Bou Ar’Aara ? », questionna le journaliste en prononçant avec difficulté cet étrange surnom.
-« Je pense que c’est à cause de la feuille de thuya tatouée sur son front, le thuya étant « El Ar’aar » en arabe, Bou Ar’Aara serait donc l’homme qui porte la feuille de thuya. », expliquai je minutieusement à mon ami toujours subjugué par l’exploit de cet indigène différent des autres.
-« Pourquoi Mamar porte-t-il ce tatouage sur le front ? » demanda l’ami anglais, curieux de savoir les moindres détails sur ce personnage solitaire et mystique qui affronte une armée entière.
-« C’est un rite ancestrale bien de chez nous, une superstition qui consiste à tatouer les nouveaux nés, d’autres leur accrochent un petit fil de bronze en guise de boucle d’oreille, on appelle cela « ayacha », c’est pour leur garantir une longue vie, après que les mères eussent perdu successivement des bébés auparavant. », expliquai je à mon ami qui notait mes mots dans son petit calepin.

-« Il a grandi et devint homme
Après que Eve offrit sa pomme,
Elu le mont pour un refuge
Et la justice pour seule juge. »

-« Il a choisi et devint roi
Avant que l’art ne perde la loi,
Opté de prendre sa liberté
Ailleurs des murs de la cité. »

-« Il a vécu et devint riche
Sans qu’il ne mente ou qu’il ne triche,
Cueilli l’honneur planté au sol
Qui pousse au cœur des bonnes paroles. »

-« Il a peiné et devint maître
Suivant les traces des vielles lettres,
Sorti la nuit au jour naissant
Le bras rebelle fort et puissant. »

-« Il a poussé et devint grand
Avec sagesse et plein de cran,
Quitté le bled et sa famille
Pour contrer l’âme de l’ennemi. »

-« Il a sué et devint fort
Suite aux misères qui forgent le sort,
Erré au monde tel un mystère
Qui mène à lui toute une guerre. »

Abdelkader Guerine... Bou Ar'Aara, le célèbre inconnu
allaoua5624
Envoyé le :  2/6/2011 2:27
Plume de platine
Inscrit le: 3/9/2010
De:
Envois: 2377
Re: Le célèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)


----------------
l'amour est une fleur. Il faut prendre soin d'elle pour quelle fleurisse et donne son parfum.

Abdelkader
Envoyé le :  7/7/2011 22:48
Plume de platine
Inscrit le: 31/12/2006
De: Chlef / Algérie
Envois: 7615
Re: Le célèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)
.../...

-« Est-ce que Mamar est marié ? A-t-il des enfants ? », Demanda le journaliste pour enchaîner le discours après un silence de glace pendant cette nuit pénible.
-« Non, il n’est pas marié, il n’a jamais été assez stable pour pouvoir fonder un foyer. » répondit l’homme noyé dans une tristesse sans fin.
-« Sa vie est une éternelle errance à travers les hameaux et les villages de la région. Il allait de Zekkar à l’Ouarsenis, et revenait à la Dahra par la plaine et les bois qui l’entouraient. Il randonnait sur la cote maritime et retournait parfois à Orléansville, souvent déguisé pour éviter d’être reconnu et arrêté. Il ne restait jamais beaucoup de temps dans un même endroit, il savait que les français étaient toujours dans sa poursuite », Raconta l’homme enfoui dans sa djellaba qui cachait tant de mystères.
-« Mais ce sont bien les arabes que Maamar craignait le plus, il savait bien qu’ils le dénonceraient aux autorités françaises pour un peu d’argent ou pour une reconnaissance de foi avec un galon doré. », relaça-t-il avec une franchise qu’il n’aimait sûrement pas avouée.
-« A-t-il connu ou aimé une femme au moins ? », interrogea Alexander avec un petit sourire malicieux.
-« Ah ! », fit Mohamed qui croisa ses jambes pour changer de position de s’asseoir sur le tapis, dénoua le ruban sur sa tête qu’il grata d’un geste langoureux, et le renoua d’un tour de main rapide et judicieux.
-« Maamar me parlait souvent de sa cousine Zohra, ils avaient passé toute leur enfance ensemble. Il l’avait aimée depuis qu’il était tout petit, mais il n’avait senti son amour pour sa cousine que le jour où il dut quitter le douar, chassé par la misère vers une ville encore plus misérable. Il me décrivait sa beauté et me déclarait à chaque fois son grand désir de la prendre pour épouse et lui offrir la moitié de son existence. Mais il savait que sa situation de fugitif ne lui permettait pas d’exaucer un tel vœu, il affirmait que ce rêve serait bien possible si les français partaient du pays », reprenait l’homme, toujours sous l’emprise d’une tristesse amère.
-« Il lui arrivait de se rendre secrètement au douar juste pour voir Zohra de loin, quand le fardeau de la nostalgie devenait un poids impossible à supporter », continua Mohamed dans sa joute de paroles qui fit tout notre émoi.

-« Je verrai bien Zohra la belle
Sous la couvée d’un autre ciel,
Ce ciel ci bas ne me permet
De joindre mon cœur à mon aimée ».

-« Je toucherai ma dulcinée
Dans un pays imaginé,
La lune ici est enterrée
Sans une étoile à admirer. »

-« Je gagnerai la dot chère
Qui pèse les monts de toute la terre,
Ici le monde est misérable
Sans un bonheur qu’il soit durable ».

-« Il est fasciné par ses grands yeux noirs soignés au kohol, avec ses cils tirés telles des épées sur son regard attrayant, son visage blanc était rosi aux joues à cause de l’effort des pas qu’elle faisait pour se rendre à la fontaine pour collecter de l’eau. C’était là qu’il la guettait à partir du petit bois jouxtant le douar, dissimulé dans le buisson, rêvant l’instant que l’ennemi disparaisse pour espérer vivre pleinement ce bien. Sa démarche suivant la clairière était celle d’une gazelle qui frôlait l’herbe nonchalamment dans un trot valsant. Sa finesse enveloppée dans une robe de couleur vive et fleurie tel un beau printemps, serrée à la taille par un ruban tressé de nœuds qui traçait les courbes d’une silhouette qui ensorcelait son imagination. Sa tête, couverte d’un foulard fleuri aussi, laissait voir une mèche raide de ses cheveux rougis au henné quand elle se penchait sur ses jarres qu’elle ramassait de ses mains ficelées d’ornements d’argent. », Ajouta l’orateur dans ses descriptions langoureuses pour répondre suffisamment aux questions du journaliste.
-« Il ne voulait pas s’approcher d’elle de crainte de nuire à sa réputation et de lui causer des ennuis avec son père, qui, lui aussi pourrait subir le pire châtiment du caïd et les représailles des militaires. Il préférait l’admirer de loin, gardant propre ce petit rêve qui enjolivait toute sa vie. », Dit Mohamed avant d’observer un moment de silence.
-« Zohra passe dans mes rêves, me disait Maamar, majestueuse dans sa foulée nocturne dans ma tête nomade qui ne sait pas contenir cet immense et beau secret. Son regard sorcier fait fondre mon cœur telle la neige sous le soleil du printemps, son eau ruisselante va ensuite irriguer mes champs d’espoir brûlés par mes colères pour un sol tari de dignité. Zohra est un coin lumineux, ajoutait Bou Ar’Aara, une joie que je transporte dans mon être dans ma marche sur son nuage doux, quand elle passe caresser ma blessure et raviver mes sens tendres et mon éveil câlin, chaque fois que je suis seul, pensif et éperdument malheureux », continua Mohamed en s’étirant pour bien s’aliter dans un coin du large tapis, dans une position idéale pour un somme reposant.
Le coq chantait déjà, le jour se levait à la Bocca, Mohamed dormait déjà. Je décidai d’accompagner Alexander à son hôtel à Orléansville, pour ensuite retourner me reposer chez mon ami Ali. Nous étions fatigués après un jour plein d’événements et une nuit blanche sans le moindre sommeil.
-« Repose-toi bien », dis je à Alexander en se quittant devant l’hôtel des voyageurs par cette matinée d’un calme soucieux et suspicieux.
-« A ce soir, au revoir » dit il.
-« Oui, inchallalh, à La Rotonde mon ami ».

.../...

Honore
Envoyé le :  11/7/2011 16:04
Modérateur
Inscrit le: 16/10/2006
De: Perpignan
Envois: 39531
Re: Le célèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)
ce que je viens de lire a toute les sonorités d'une vérité que tu nous conte avec tout l'art d'une écriture diversifiée.
HONORE
senkez
Envoyé le :  15/7/2011 13:02
Plume d'or
Inscrit le: 21/4/2010
De:
Envois: 1799
Re: Le célèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)





Premie ret second Ă©pisodes fabuleux,



J'attends la suite.....








Abdelkader
Envoyé le :  21/8/2011 3:24
Plume de platine
Inscrit le: 31/12/2006
De: Chlef / Algérie
Envois: 7615
Re: Le célèbre inconnu...( Bou Ar'Aara)
Acte 8 : La guillotine

.../...

La ville était effervescente en cette fin de journée, des compagnies de soldats sont arrivées des autres villes du pays pour soutenir les militaires d’Orléansville afin d’assurer le bon déroulement du procès de Bou Ar’Aara. Les Français savaient que les Arabes étaient mécontents, ils avaient peur que cet événement puisse générer des emportements ou des dépassements de leurs règles au sein de la population autochtone imprévisible malgré sa soumission.
-« Les Français savent que dans chaque cœur de nos frères arabes sommeille un Bou Ar’Aara », me dit l’imam en nous quittant après quelques pas ensemble en dehors de la mosquée.
Le soleil s’apprêtait à se coucher, une lueur rougeâtre teint les gros immeubles de la rue d’Isly, une brise d’air chaud soufflait sur cette rue que je longeais de l’ouest pour aller à la rencontre d’Alexander qui devait sûrement m’attendre à La Rotonde. J’ai remarqué la présence d’un nombre important d’indigènes en ville, j’ai pensé qu’Orléansville permettait quelques indulgences pour l’occasion des ces jours de fêtes. Un jeune pâtre arabe assis au coin du jardin attira mon attention avec sa flûte rustique qui émettait des airs tristes dans les pensées de ma tête peinée.
Je trouvai L’ami anglais assis à une table dans la terrasse de La Rotonde, plongé dans la lecture du journal du jour, sans doute récemment parvenu par la messagerie.
-« J’ai préféré m’asseoir dehors, c’est meilleur que l’atmosphère étouffante de l’intérieur du café », me dit Alexander après le rituel du salam.
J’ai senti sa main très chaude dans la mienne en le saluant, son visage était pâle et ses paupières me semblèrent lourdes sur ses yeux rougis. Son front imbibé de grosses suées indiquait qu’Alexander était las et fiévreux.
-« J’aurai le bon repos quand je saurai la fin exacte de l’histoire de Mamar », me dit il lorsque je lui fit la remarque sur son état et sa mauvaise forme apparente.
-« Ce n’est plus un article que je voudrais écrire sur ce personnage, mais c’est bien un livre, tous les ingrédients sont là pour développer des récits qui témoigneront de l’injuste loi des hommes », reprit le journaliste avec un air serein malgré la fatigue causée par les efforts de ces derniers jours, sans repos ni sommeil constant.
Alexander m’informa que ni le juge ni l’avocat qui l’accompagnait ne voulaient se prononcer sur l’affaire de Mamar, ils ne voulaient pas commencer à parler de ce procès avant son temps, avant que les intéressés ne soient tous présents. Je sus aussi par mon compagnon que le procès débutera demain matin, et que quelques hommes importants avaient le droit d’accès à la cour. Il m’apprit qu’il était invité en tant que journaliste pour couvrir l’audience de cette affaire, il ajouta que le magistrat était étonné de voir un journaliste anglais suivre les faits d’un délit dans la Dahra. Je fis les pas jusqu’à l’hôtel avec mon ami après une courte discussion sans aucune bonne nouvelle. Je sentis son besoin pour du repos et la nécessité d’avoir un gros sommeil afin d’affronter la journée de demain qui s’annonçait chargée d’activités. Je compris que, bien qu’Alexander paraissait en bonne posture, son age avancé le rendait incapable de fournir tant d’efforts et d’absorber tant de mauvaises surprises par ce climat lourd et cette chaleur qui devenait de plus en plus accablante.
Je décidai de me rendre à la Bocca pour passer la nuit chez mon ami Ali, et rencontrer mon âne à qui je devais sûrement manquer terriblement.
Ali était exténué après avoir passé toute la journée au souk de Sendjas, mais satisfait d’avoir vendu toutes ses poteries dans ce marché influencé par les nomades du sud de la région. Il était au courant du jugement de Maamar qui aura lieu demain, le souk n’était pas seulement un lieu de marchandage, c’était aussi un espace de circulation d’actualités et de nouvelles informations. Nos causeries furent brèves autour de l’habituel thé, avec cette fois des dattes et des figues sèches qu’Ali prit soin de ramener de Sendjas. Nous prîmes le dîner à la chandelle, je compris que le potier faisait l’économie du carburant servant à allumer le quinquet.
Après la prière du soir, je confie à Ali mon désir de dormir dans la basse-cour à cause de la chaleur suffocante qui régnait sous le toit de sa petite boutique. Un tapis en osier fut généreusement déroulé en ma faveur au milieu de cette cour spacieuse. L’âne, accroupi sous le dense figuier, se mit sur ses quatre pattes et haussa ses longues oreilles dés qu’il m’aperçut de loin.
Je m’étais allongé sur le tapis large à quelques pas de la bête, mon couffin sous ma tête, ma canne et mon chapeau de paille reposaient à mon coté, observant les étoiles luisantes dans le vaste ciel, semées partout autour d’une lune claire dans la rondeur de sa robe majestueusement inclinée. De l’air tiède enveloppait l’atmosphère de la nuit silencieuse, froissée par les crapauds qui coassaient en chœurs dans les marres de oued Tsighaout plus bas.
Je fermai les yeux et sombrai dans un rêve où je vis le jeune pâtre indigène avec sa flûte rustique, j’entendais toujours les échos tristes émis avec un souffle pleureur qui provoqua ma mélancolie.

-« La flûte enchante et adoucit
Ma tĂŞte remplie de grands soucis,
Avec ses notes en vagues roulées
Dessous les pas de ma foulée. »

-« La flûte écrase et démolit
Ma chair qui garde mon cœur poli,
Avec ses pleurs pour me noyer
Le corps errant sans un foyer. »

-« La flûte résonne à l’oreiller
Où mes frissons sont bien choyés,
Avec ses mains aux doigts blessés
Qui savent griffer et caresser. »

-« La flûte retient mes grosses larmes
Avec ses airs pleureurs qui charment
Mes jours qui suivent sans fantaisie
Des nuits aveugles sans poésie. »

Je m’éveillai furtivement, alerté par le son du clairon militaire qui retentit à la Bocca à l’aube de cette matinée chaude avant même que le soleil ne soit levé. Des hommes frappaient bruyamment aux portes et demandaient aux habitants de sortir de chez eux. Des voix s’élevaient nerveusement en arabe, obligeant les gens de se rassembler dehors, je devinai alors qu’il y avait des Spahis parmi ces soldats matinaux. Ali vint vite de sa maison pour me prévenir que les Français rassemblaient toute la population pour la conduire à Orléansville.
Nous sortîmes hâtivement dans la rue parmi la foule des indigènes infortunés, pressés et conduits de force jusqu’à la place public sous les moqueries des soldats qui corrigeaient violemment les retardataires dans cette marche vers les ténèbres d’un jour pourtant printanier. Des hommes, des femmes, enfants, jeunes et vieillards furent sommés de se réunir dans cette place joliment décorée pour les fêtes nocturnes célébrant l’armistice en Europe. Je remarquai Mohamed Choumène déguisé en mendiant parmi cette foule d’indigènes attristés.
Telle ne fut ma surprise mauvaise et mon choc grand en voyant cette machine installée sur une estrade en bois sous le premier caroubier au coin de la place J’entendis les prières sournoises des uns et les pleurs étouffés des autres parmi la foule des pauvres indigènes. Ils avaient vite compris l’objet de leur présence ainsi que le malheureux destin qui attendait Bou Ar’Aara, tous alarmés à la vue de cette machine à donner la mort. Grise et sinistre avec une mine macabre à faire froid au dos, svelte et cruelle avec son air à flairer le sang, giclé affreusement sur la surface de sa ferraille moisie dans son horrible solitude, une guillotine.

La guillotine rince
Le cou d’un rêve mince,
Avec sa lame de fer
Importée de l’enfer
Et son bruit assourdi
Au dos du paradis.

La guillotine brille
Au ciel d’une belle nuit,
Cirée en fine paille
Dans un lot de ferraille,
Debout telle une stèle
Dans une allure qui gèle.

La guillotine arrĂŞte
La vie portée en tête,
Avec l’instinct tracé
Dans une mémoire glacée,
Et du silence d’horreur
Des fins fonds de la peur.

La guillotine glisse
Entre des rails lisses,
Dans un chemin rebelle
Aux portes de l’éternel,
Ornée d’acier tranchant
Le temps d’un jour méchant.

La guillotine mord
Au choix du dernier sort,
Avec ses dents qui sondent
Un trou dans l’autre monde
Et ses entrailles qui broient
Les os tremblant d’effroi.

L’imam paraissait comme une tache non conforme au milieu des officiels occidentaux réunis devant le tribunal, enturbanné et enfoui dans une gandoura blanche couverte de son burnous royal qu’il portait aux grandes occasions seulement. La grande foule des paysans assis à plein le sol pouvait observer les magistrats pénétrer à l’intérieur de ce bâtiment monstrueux. Nous devions attendre sans bouger jusqu’à ce que la sentence réservée à Bou Ar’Aara soit bien connue. Je fus un peu étonné de ne pas voir Alexander parmi la gente des officiels. Ali, assis à mon coté, ne l’avait pas aperçu non plus. L’absence du journaliste rajouta des remords à mes peines pour Maamar, qui devait être conduit à la cour par une porte interne reliant la prison au tribunal.
Nous dûmes rester dans cette situation lassante sous le soleil battant jusqu’à l’heure de midi. Certains enfants pleuraient de soif et de faim, d’autres gens malades gémissaient de douleur, et bien d’autres gardaient le silence meurtri, effrayés, en observant la terrible machine froidement exposée à l’ombre du dense caroubier.
Les présents au tribunal commencèrent à sortir un à un avec leurs documents en main, l’imam était le dernier à quitter la salle avec sa tête baissée. Mon inquiétude s’accentua en remarquant qu’Alexander était toujours absent, il tenait énormément à suivre cette affaire jusqu’à sa fin. J’eus soudain peur qu’un grave malheur ne lui soit arrivé depuis hier soir, sachant qu’il était souffrant quand nous nous sommes quittés. Des soldats tiraient des coups de feu en l’air en guise de bonheur et de joie pour la sentence observée contre l’inculpé, d’autres plus excités criaient fortement « vive la justice !!! ».
Un militaire gradé s’approcha de la foule des paysans avec un papier à la main, suivi d’un arabe pour nous traduire ses paroles et d’une horde de soldats pour assurer sa protection. Le militaire exposait son discours à la population, interrompu par le traducteur qui nous déchiffrait le contenu en arabe par fragments. Nous comprîmes tous que Maamar a été condamné à la peine capitale, et qu’il allait être exécuté à la guillotine dans l’instant qui allait suivre. Le contenu du papier expliquait que ceci était le châtiment réservé à toute personne qui oserait enfreindre la loi de la république française. Un sentiment d’effroi traversa les cœurs des autochtones rassemblés dans la place public par ce matin maudit. Ils devaient assister à l’exécution de l’un de leur frère, celui qui savait exprimer leur colère et leur mécontentement, celui qui pouvait rehausser leur honneur et apaiser leur profond désarroi.
Peu de temps après ce discours affreux, des bourreaux cagoulés ramenèrent Mamaar jusqu’à la guillotine. Nous l’entendîmes répéter le dernier témoignage pour le grand seigneur, suivi de l’imam qui récitait des versets du sacré coran et clamait des louanges avec ses bras hautement levés. Des femmes pleuraient un effroyable chant en empêchant les enfants de regarder cette scène horrible, certains hommes aux âmes sensibles baissaient leurs têtes pour s’épargner la douleur de voir cette image épouvantable.
Je vis Mamaar accroupi, sa tête déposée dans le berceau de la machine, attendant l’ordre pour que le bourreau active la hache qui lui arrête la vie. L’ordre fut donné, le bourreau tira la barre pour libérer la lame qui glissa vite et coinça soudainement à la moitié de son chemin. Je pensai cependant aux paroles d’Alexander qui disait que si par miracle la guillotine ou bien la corde de pondaison ne fonctionne pas, cela serait l’ultime chance pour sauver un inculpé. Il m’expliqua que l’exécution par ces moyens ne se fait pas en deux tentatives, et que si la première est ratée le sujet passerait à un emprisonnement à perpétuité. C’est un droit international élu aux condamnés pour ces peines lourdes, me dit il au cours de nos dialogues. J’éprouvai un sentiment de soulagement bref et désespéré, car pour le cas de Bou Ar’Aara, il a fallu un deuxième essai, un changement de bourreau, un troisième essai, puis un quatrième pour que la guillotine atteigne son objectif, suivie des tirs des soldats et des cris apocalyptiques de la foules des indigènes frustrés et terrorisés.
Des gens s’évanouissaient et succombaient à terre comme des fruits trop mûrs, une femme enceinte ne put s’empêcher de mettre bas son enfant au milieu de la foule, couverte par de vieilles dames qui cachaient sa pudeur avec le sentiment du gêne et de l’embarras.
La foule des autochtones ahuris fut dispersée après l’exécution de Bou Ar’Aara, la grande partie des paysans quitta les lieux sans avoir eu le courage d’assister à l’enterrement de Mamaar, les gens avaient peur d’être reconnus comme proches ou amis de ce révolté même après son décès. Je fus présent à ce cortège funèbre, le corps inerte de ce héros enveloppé dans un tissu blanc était mis sur un chariot tiré par une jument, suivi de l’imam et de quelques croyants, longeant à pied le boulevard du nord vers la porte de Ténès dans une atmosphère tristement chaste, à destination du cimetière arabe situé à l’autre rive de Tsighaout, appelé communément le cimetière des pauvres.
L’enterrement fut bref et morose, sans l’émotion grandiose d’une vraie cérémonie funèbre, juste une dévotion religieuse avec une prière, un prêche rapide avant que l’imam ne conclût :
-« Nous sommes à Dieu et c’est à lui que nous retournerons », « Que le grand seigneur accueille ce pauvre serviteur dans son vaste paradis ».
-« Amin », répondirent les quelques présents, avant de disparaître chacun vers sa destinée.
Je revins à l’hôtel des voyageurs après l’enterrement de Maamar pour savoir les nouvelles de mon ami Alexander, son absence m’inquiétait énormément, le pressentiment d’un malheur me nouait la gorge et me pesait lourd dans le cœur. Le réceptionniste de l’hôtel confirma mes doutes en m’annonçant que le journaliste anglais était pris d’un gros malaise et que son état s’est sérieusement aggravé pendant la nuit, il a été évacué à l’hôpital militaire d’Orléansville ensuite transporté en urgence vers la capitale. Je fus terriblement désolé pour Alexander, encore plus triste de savoir que personne n’écrira la légende de Harchaoui Maamar, dit Bou Ar’Aara, un martyre que l’histoire ne reconnaîtra hélas jamais.

.../...

Kader

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