L'EPOUVANTAIL
Depuis bien des années sans même d'identité
Je suis abandonné au milieu de nulle part
Flanqué sur un piquet en guise de promontoir
Trônant sur la vallée, coiffé d'un vieux bonnet,
D'un rouge cardinal à cent lieues repéré
Par l'ennemi emplumé en quête d'un abri,
Passereaux en goguette se gouaillant de mépri
Délestant leurs fientes sur mon spectre démuni !
Je hais ces volatiles qui me donne le tourni...
A l'aube de l'automne, je me sens dépouillé,
La pluie, le vent, l'soleil m'ont un peu asséché !
J'ai hâte que l'on vienne enfin me libérer
Des caprices du temps, des oiseaux tournoyant
Au-dessus de ma tête, piallant en picorant
Mon vieux bonnet en laine qui me sert de coupe-vent !
Je sais je n'ai pas d'âme, je ne suis qu'un errant
Sans mémoire et sans coeur aux dires des paysans !
Un drôle d'épouvantail qui vit de l'air du temps,
Le regard éberlué comme si j'allais pleurer !
Je garderai pour moi mes peines et mes regrets !
L'hiver sera long jusqu'au prochain été,
Tant mieux, je vais pouvoir enfin me reposer,
Mettre un peu d'ordre dans ma tête d'empaillé ;
J'ai tant de souvenirs, d'histoires à raconter !
J'vous laisse imaginer combien j'ai de secrets,
Des plus fous aux plus tendres, même désespérés !
Je ne peux vous les dire, de plus je suis muet ;
Le paysan arrive, c'est l'heure de vous quitter
Ah ! J'allais oublier...si un jour vous m'voyez
Au détour d'une prairie ou d'un grand champ de blé
Un p'tit signe de la main, je me ferais discret !
Esteban
douce nature AUX AMOUREUX DE LA NATURE
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