Jamais il ne me quitte.
A chaque déménagement, il est là , premier posé comme un dieu sur un autel de Lares…
Son regard profond m’accompagne, me berce, me sécurise.
C’est le portrait de mon grand-père maternel, Erich, celui que me confia ma grand-mère en septembre 1978, à sa mort.
Métisse rhénanotarnaise, j’ai toujours vécu entre Rhin et Garonne, entre forêts de sapins et lumières méditerrannes, Bach et Rimbaud…Mon grand-père est celui qui m’a aidé à faire le lien entre mes deux patries, mes deux cultures, car il était à la fois francophile et profondément attaché à cette nouvelle Allemagne qu’il avait aidée à reconstruire, après son retour du front russe d’où, simple soldat de la Wehrmacht, il était revenu couvert de deuils et d’atrocités.
C’est lui qui, le premier, m’a fait lire « Le journal d’Anne Franck », c’est grâce à lui que j’ai très tôt compris que mon pays maternel était non seulement celui des Frères Grimm et de La Lorelei, mais de l’Indicible…
C’est lui qui m’a fait aimer l’Allemagne, la vraie, celle des penseurs et des philosophes.
J’ai embrassé des aubes d’été merveilleuses, lorsque je me réveillais dans la maison de campagne qu’il avait achetée dans le même village que…mes grands-parents français et que nous partions chercher champignons et merveilles.
Un été, arpentant les rives du Rhin en pleine zone industrielle de Duisbourg, si noire, enfouie dans ses scories, mais si lumineuse dans mes souvenirs d’enfant des deux rives, il m’a fait promettre l’Europe.
Lorsqu’il est mort, j’avais 17 ans. « On est pas sérieux, quand on a 17 ans… », dit le poète. Je faisais ma rentrée en hypokhâgne et me disais, comme Scarlett : « J’y penserai demain… », tant j’étais terrifiée à l’idée de mon propre chagrin.
Ce portrait est ma lumière, mon chemin. Mon fils se nomme…Erich.
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